PARIS (Reuters) - Longtemps la plus grosse usine de moteurs diesel du monde, le site de Trémery (Moselle) est le théâtre d'une transformation sans précédent avec l'arrivée d'une production d'un nouveau genre - des motorisations électriques.

Celles-ci ont représenté moins de 10% de la production du site de PSA - devenu depuis Stellantis - l'an dernier, mais elles doivent doubler à environ 180.000 unités en 2021 et atteindre d'ici 2025 les 900.000 par an, soit plus de la moitié de la production de moteurs thermiques du groupe avant l'épidémie de coronavirus.

"2021 sera une année charnière, l'année véritable de la transition vers l'électrique", déclare Laetitia Uzan, représentante du syndicat CFTC à Trémery.

Cette année verra en effet une accélération de l'électrification des voitures et le diesel tirer sa révérence sur un nombre sans précédent de modèles.

Cette technologie, ébranlée par le scandale de trucage des émissions de 2015, est devenue trop chère à dépolluer, et pour atteindre des objectifs de CO2 de plus en plus stricts, pour lesquels le diesel était en revanche plus vertueux, tous les constructeurs ont opté désormais pour le passage à l'électrique - via l'hybridation, l'électrique à batterie ou à pile à combustible.

Malgré les incertitudes sur la demande future pour ces véhicules d'un nouveau type et le manque de visibilité lié au contexte sanitaire, l'ensemble des constructeurs, de Volkswagen à Nissan, ont lancé ce vaste chantier qui fait planer une grande inconnue sur l'emploi. A Trémery, dont l'effectif est d'environ 3.000 personnes, comme partout ailleurs.

Un moteur électrique compte en effet cinq fois moins de composants qu'un moteur diesel et est bien plus rapide à assembler.

Laetitia Uzan reconnaît qu'il y a un risque "d'avoir moins d'effectifs", mais elle estime qu'au vu de la pyramide des âges, les choses pourront évoluer "naturellement" avec le non remplacement de départs à la retraite.

Stellantis, né de la fusion entre PSA et Fiat Chrysler, a promis de ne fermer aucune usine et voit dans l'effet de taille un moyen de protéger l'emploi.

Mais de nombreux observateurs pensent que la mutation du secteur, déjà confronté à des surcapacités et à la concurrence de nouveaux entrants comme le spécialiste américain de la voiture électrique Tesla, sera sans doute douloureuse.

La Plateforme de la filière automobile (PFA) estime qu'en France pas moins de 15.000 emplois liés au diesel sont en danger, sur un effectif total de 400.000 personnes. En Allemagne, premier pays automobile d'Europe, l'institut de recherche sur le travail IAB a calculé que jusqu'à 100.000 postes pourraient être menacés, soit un sur huit dans le secteur.

UNE ANNEE "SANS PRECEDENT"

La sortie du diesel est plus délicate à négocier en Europe, où le gasoil représentait encore au moins 50% des immatriculations de voitures neuves en 2015, selon des données du groupe de recherche JATO Dynamics, un pourcentage historiquement bien plus élevé qu'en Amérique du Nord et en Asie.

Cette année, une vingtaine de modèles seront proposés sans moteur diesel, de la Polo de Volkswagen aux Sandero et Scenic du groupe Renault en passant par la Micra de Nissan et la Honda Civic, selon l'institut IHS Markit, pour qui 2021 marque un virage "sans précédent".

Parallèlement la Society of Motor Manufacturers and Traders britannique s'attend au lancement de 29 nouveaux véhicules électriques et de sept nouveaux hybrides rechargeables cette année au Royaume-Uni, soit davantage que les 26 nouveaux véhicules à moteur thermique - dont seulement 14 diesel - à l'horizon.

En septembre, les immatriculations de voitures électrifiées en Europe ont dépassé celles de diesel pour la première fois, selon des données de JATO. Sur les neuf premiers mois de l'année, les ventes de véhicules électriques et hybrides ont flambé de 122%, alors que les ventes totales chutaient dans l'intervalle de 29% à cause de la pandémie.

Mais la partie n'est pas encore gagnée. Les véhicules électrifiés ne pèsent encore que 8% des ventes totales, freinées par leur tarif et le manque d'infrastructures de recharge.

Chez Renault, où le diesel aura disparu des voitures pour les particuliers en 2025, selon une source du constructeur, la bascule est elle aussi engagée depuis plusieurs années dans la grande usine de moteurs de Cléon (Seine-Maritime).

Travaux de réorganisation, plans de formation, aujourd'hui l'assemblage de blocs diesel n'occupe plus qu'un demi-bâtiment alors que les moteurs électriques et les technologies liées à l'hybridation ont colonisé presque deux bâtiments entiers.

"Un salarié qui reviendrait aujourd'hui après quelques années d'absence ne reconnaîtrait pas les lieux", observe Lionel Langlais, délégué central CFDT de Renault pour le manufacturing.

(Avec Nick Carey et Mark Potter, édité par Jean-Michel Bélot)

par Gilles Guillaume