par Maki Shiraki, Daniel Leussink et Norihiko Shirouzu
TOKYO, 12 février (Reuters) - En grandes difficultés, Nissan s'est vu proposer en décembre une bouée de sauvetage par son rival Honda : une alliance de 60 milliards de dollars qui créerait le troisième constructeur automobile mondial pour mieux faire face à la concurrence de Tesla et des marques chinoises qui secouent le secteur.
Mais les négociations sur la fusion ont tourné court: l'intransigeance et le déni de Nissan ainsi que la décision de Honda de revoir les termes des négociations en proposant que Nissan devienne sa filiale ont fait capoter la tentative, selon six sources au fait du dossier.
L'hypothèse de devenir une filiale de Honda n'a pas été bien accueillie par Nissan, qui a été pendant des années, jusqu'en 2020, le deuxième constructeur automobile japonais derrière Toyota. Il a insisté, malgré sa position plus faible, sur une relation d'égal à égal dans les négociations, ont déclaré trois des sources.
Honda a aussi fait pression sur Nissan pour qu'il réduise encore ses effectifs et sa capacité de production, mais le constructeur, qui semblait croire en son redressement, n'était pas disposé à envisager des fermetures d'usines politiquement sensibles, ont dit trois personnes.
Ce que Honda a considéré comme un processus décisionnel lent de la part de Nissan a également contribué au torpillage de l'accord, ajoutent les sources.
Ce récit est basé sur des entretiens avec plus d'une dizaine de personnes, qui ont toutes parlé sous le couvert de l'anonymat en raison de la sensibilité du sujet.
"NISSAN SURESTIME SA POSITION"
Des années de baisse des ventes et de problèmes de gestion ont affaibli Nissan, qui a sous-estimé la demande de véhicules hybrides aux États-Unis, son principal marché.
Le constructeur automobile est désormais confronté à la menace de droits de douane américains supplémentaires sur ses véhicules fabriqués au Mexique, qui représentent plus d'un quart de ses ventes aux États-Unis.
En novembre, Nissan a annoncé une restructuration prévoyant la suppression de 9.000 emplois et une réduction de 20% de sa capacité de production mondiale.
"Je pense qu'il s'agit d'un problème de gestion", estime Julie Boote, analyste chez Pelham Smithers Associates, à propos de l'agitation qui règne chez Nissan. "Ils surestiment complètement leur position et la valeur de leur marque, ainsi que leur capacité à redresser l'entreprise".
Nissan et Honda ont tous deux refusé de commenter les aspects spécifiques des pourparlers tels qu'ils ont été décrits par les sources de Reuters.
Le directeur général de Nissan, Makoto Uchida, a rencontré son homologue chez Honda Toshihiro Mibe la semaine dernière pour lui annoncer qu'il souhaitait mettre fin aux discussions après la proposition de Honda de devenir une filiale.
Les deux constructeurs, qui publieront tous deux jeudi leurs résultats trimestriels, avaient indiqué qu'ils feraient un point ce mois-ci sur leurs discussions.
Celles-ci se sont rapidement heurtées à un mur concernant le calcul de la part d'actionnariat de l'entreprise combinée, ont dit deux sources à Reuters.
En privé, le directeur général de Nissan avait exprimé des doutes sur les perspectives de l'opération, dit une des sources.
Quatre personnes ont déclaré que les dirigeants de Honda s'étaient plaints de la lenteur du processus décisionnel chez Nissan.
Selon deux sources, les dirigeants de Honda ont également estimé que la stratégie de redressement de Nissan manquait de détails et que la réduction de la capacité de ses usines était insuffisante.
Selon une source, Nissan ne voulait pas fermer d'usines car cela aurait entraîné une dépréciation de sa valorisation théorique et affecté ses bénéfices.
VISITE À KYUSHU
Honda n'a pas semblé disposé à faire marche arrière dans ses plans, ce qui a laissé entendre qu'il ne considérait pas Nissan comme un égal, a déclaré une personne au fait des réflexions de Nissan.
Fin janvier, l'un des cadres dirigeants de Nissan, Hideyuki Sakamoto, s'est rendu sur l'île de Kyushu, dans le sud-ouest du Japon, pour annoncer le projet d'une usine de batteries pour véhicules électriques.
Il a déclaré que le constructeur automobile ne réduirait pas la capacité de son usine existante de Kyushu, disant que le site était une "base hautement compétitive sur le plan géopolitique" et importante pour les futurs projets de véhicules électriques.
Le lendemain de cette visite, Toshihiro Mibe, directeur général de Honda, a dit à Makoto Uchida que Nissan devrait devenir une filiale de Honda, une possibilité qui ne figurait pas dans le protocole d'accord signé fin 2024, selon une source.
Reuters n'a pas été en mesure de déterminer si la décision de Honda a été motivée par les annonces faites par Nissan à Kyushu, mais le voyage à Kyushu a cristallisé les tensions entre les entreprises en matière de stratégie.
Le revirement brutal de Honda sur les conditions de négociations reflète son impatience croissante à l'égard de Nissan en ce qui concerne le rythme des négociations, ont déclaré deux sources.
Au sein de Nissan, la proposition de devenir une filiale a été considérée comme "scandaleuse" et comme un affront à la dignité du groupe, a déclaré une personne.
Renault, principal actionnaire de Nissan, a déclaré que les dernières informations suggéraient que la transaction aboutirait à une "rachat de Nissan par Honda sans prime de contrôle pour les actionnaires de Nissan".
Une telle issue n'est "pas acceptable", a déclaré le groupe français, ajoutant qu'il "défendrait vigoureusement" ses intérêts.
NOUVEAUX PARTENAIRES
Reuters a rapporté que Nissan était ouvert à l'idée de travailler avec de nouveaux partenaires, notamment avec le géant taïwanais Foxconn, qui fabrique entre autres les iPhones d'Apple et a des ambitions dans le secteur des véhicules électriques afin de diversifier ses activités.
Foxconn n'a pas répondu à une demande de commentaire.
Le président de Foxconn, Young Liu, a déclaré mercredi que le groupe taïwanais visait une coopération avec le constructeur japonais et non pas une acquisition.
Foxconn serait probablement un prétendant plus généreux que Honda parce qu'il a besoin d'une marque dans l'industrie automobile, et Nissan pourrait être intéressant, a déclaré Amir Anvarzadeh, stratège chez Asymmetric Advisors.
"Peu importe ce que vous pensez de leurs voitures, de leur bilan et ainsi de suite, au moins la marque est encore assez reconnaissable", a-t-il déclaré à propos de Nissan.
Jusqu'à présent, le gouvernement japonais n'a donné que peu d'indications sur son point de vue concernant la rupture des négociations entre Honda et Nissan, et n'a pas non plus dit s'il était ouvert à une reprise de Nissan par Foxconn.
Pour le constructeur japonais, la question est maintenant de savoir ce que fera la direction, a déclaré l'analyste Julie Boote.
"Ils n'ont pas une vision réaliste de ce qui se passe dans l'industrie automobile et de ce qui doit réellement se passer avec Nissan", prévient-elle.
(Reportage Maki Shiraki, Daniel Leussink et Norihiko Shirouzu ; avec la contribution de John Geddie à Tokyo, Ben Blanchard à Taipei et Gilles Guillaume à Paris ; version française Diana Mandia, édité par Blandine Hénault)