WASHINGTON (awp/afp) - L'interdiction américaine de WeChat et TikTok, des applications chinoises, pose un défi juridique majeur en matière de respect de la liberté d'expression numérique, avec des ramifications potentiellement majeures pour l'Internet mondial.

L'administration Trump a justifié cette décision par des préoccupations de sécurité nationale: ces plateformes à succès seraient ou pourraient être utilisées pour de l'espionnage chinois parce qu'elles sont "soumises à une coopération forcée avec les services de renseignement" de Pékin.

Si les risques pour la sécurité ne sont pas clairement établis, Washington n'ayant jamais rendu publics des éléments de preuve tangibles, une interdiction radicale des plateformes en ligne a immédiatement suscité des inquiétudes sur la possibilité, pour le gouvernement, d'intervenir pour réglementer la liberté d'expression garantie par le premier amendement de la Constitution américaine.

"C'est une erreur de penser qu'il s'agit (seulement) d'une sanction contre TikTok et WeChat", opine ainsi Jameel Jaffer, directeur du Knight First Amendment Institute de l'Université de Columbia, qui défend les libertés d'expression et de la presse à l'ère numérique.

"C'est une restriction sérieuse aux droits du premier amendement des citoyens et des résidents américains", estime-t-il.

Hina Shamsi, de l'American Civil Liberties Union, qualifie, elle, cette décision d'"abus des pouvoirs d'urgence" du président Donald Trump, qui risque de créer plus de problèmes de sécurité qu'il n'en résout en bloquant les correctifs et mises à jour des applications.

Fonctionnalités limitées

L'interdiction, qui doit entrer en vigueur dimanche, va bloquer les nouveaux téléchargements de TikTok, une application vidéo populaire comptant quelque 100 millions d'utilisateurs aux Etats-Unis.

Elle affectera aussi WeChat, une application chinoise utilisée pour la messagerie, les achats, les paiements et d'autres services, avec quelque 19 millions d'utilisateurs sur le sol américain.

Les fonctionnalités de WeChat seront immédiatement affectées même si certains services pourraient encore fonctionner.

TikTok devrait, elle, continuer à fonctionner mais seulement jusqu'au 12 novembre et de manière dégradée puisque ses usagers ne pourront plus, par exemple, télécharger les mises à jour.

Cette décision accroît la pression sur la maison mère de TikTok, ByteDance, pour qu'elle conclue un accord avec un partenaire américain.

Le géant Oracle de la Silicon Valley est actuellement en pourparlers pour faire partie d'un groupe qui placerait TikTok sous contrôle américain.

Fragmentation

Cette interdiction pourrait fissurer davantage le système internet mondial, en autorisant les gouvernements à contrôler les services en les bloquant.

"La décision de Trump est susceptible de briser davantage Internet", a déclaré Darrell West, directeur du centre d'innovation technologique de la Brookings Institution.

Selon lui, cela va encourager d'autres pays "à riposter contre les entreprises américaines et à soulever leurs propres préoccupations en matière de sécurité contre les entreprises étrangères".

A terme, internet pourrait avoir ainsi différents visages selon le pays d'origine, avance-t-il.

Des recours judiciaires ont d'ores et déjà été déposés par TikTok et par des utilisateurs de WeChat aux Etats-Unis.

Pour Vanessa Pappas, la directrice par intérim de TikTok, cette affaire dépasse largement la seule plateforme.

"Je crois vraiment que ce moment aura un impact profond sur notre industrie et sur le façonnement de l'internet pour les années à venir", a-t-elle déclaré dans un tweet.

Robert Chesney, professeur de droit constitutionnel à l'Université du Texas, s'attend à une bataille judiciaire difficile.

Pour autant, il rappelle que les tribunaux ont généralement autorisé les présidents à exercer les pouvoirs d'urgence pour imposer des embargos économiques.

Dans cette affaire, il y a bien "un élément relevant du premier amendement" mais les interdictions annoncées vendredi ont trait à "certaines opérations commerciales sujettes à un examen de la sécurité nationale", a-t-il expliqué à l'AFP.

En d'autres termes, "les applis ont droit à la liberté d'expression mais cela ne leur donne pas le droit de créer une entreprise utilisant l'infrastructure américaine", estime-t-il.

rl/Dt/vmt/la/els