WASHINGTON (awp/afp) - La jeune appli TikTok, qui appartient au groupe chinois ByteDance, a conquis la planète mais se retrouve écartelée entre Washington et Pékin, en plein conflit politico-commercial.

Le président américain Donald Trump l'accuse d'espionnage pour le compte du gouvernement chinois et menace de l'interdire aux Etats-Unis à moins que ses activités dans le pays ne passent sous pavillon américain. La Chine et le groupe s'y opposent.

Tour d'horizon d'une saga compliquée par sa proximité avec l'élection présidentielle américaine du 3 novembre.

700 millions, 15 secondes

Téléchargée plus de 2 milliards de fois, utilisée par près de 700 millions de personnes dans le monde tous les mois, TikTok s'est taillé une part de lion dans le marché des réseaux sociaux.

Lancée en septembre 2016 par le groupe chinois ByteDance, l'appli mobile sert à partager de courtes vidéos, entre 15 et 60 secondes. Les utilisateurs dansent, font du play-back sur leurs chansons préférées, réalisent des parodies, mettent en scène leurs animaux, se filment en train de raconter leur vie ou de prendre position sur des sujets d'actualité, entre autres. Ils agrémentent leurs clips de nombreux filtres et effets spéciaux.

Ces formats courts, drôles, qui surfent sur les musiques du moment, rencontrent un immense succès, en particulier auprès d'un jeune public, mais pas seulement. La pandémie a fait exploser ses compteurs, le réseau social offrant une échappatoire souvent bienvenue pendant le Grand confinement.

Mondialisée en 2018, TikTok est la version internationale de l'application Douyin (son nom en mandarin), destinée, elle, au seul marché chinois.

Elle compte aujourd'hui 100 millions d'utilisateurs mensuels aux Etats-Unis (800% de plus qu'en janvier 2018), dont 50 millions viennent tous les jours, selon les données de TikTok communiquées cet été.

Espionnage

Donald Trump affirme que l'application TikTok peut être utilisée à des fins d'espionnage pour le compte de Pékin puisque celle-ci permet de collecter les données des consommateurs américains et de les géolocaliser.

Dès octobre 2019, le sénateur républicain de Floride Marco Rubio demandait le lancement d'une enquête sur TikTok, dans une lettre au secrétaire au Trésor Steven Mnuchin. En janvier 2020, le ministère américain de la Défense ordonnait à son personnel de désinstaller TikTok de tous leurs téléphones portables, avait rapporté le New York Times.

Pour l'administration Trump, le danger vient notamment d'une législation chinoise de 2017 qui oblige les entreprises et les citoyens chinois à se conformer à toutes les questions de sécurité nationale.

Début novembre 2019, Vanessa Pappas, la directrice générale de TikTok aux Etats-Unis, avait réfuté ces accusations, soulignant que toutes les données des utilisateurs américains étaient stockées sur des serveurs aux États-Unis mais avec une sauvegarde à Singapour. Selon TikTok, aucune de ses données n'est soumise à la loi chinoise.

Mais ces déclarations n'ont pas apaisé Donald Trump.

"TikTok capture automatiquement de vastes palettes d'informations de ses utilisateurs (...) telles que les données de localisation et les historiques de navigation et de recherche", lit-on dans le décret du 6 août.

"Cette collecte de données menace de permettre au Parti communiste chinois d'accéder aux informations personnelles et exclusives des Américains permettant potentiellement à la Chine de suivre les emplacements des employés et des sous-traitants fédéraux, de constituer des dossiers d'informations personnelles pouvant être utilisés à des fins de chantage et pour de l'espionnage d'entreprises".

Pavillon américain ou interdiction

Face à cette menace, Donald Trump a posé un ultimatum à TikTok: soit elle fait passer ses activités aux Etats-Unis sous contrôle américain d'ici le 27 septembre, soit les nouveaux téléchargements seront interdits et les utilisateurs actuels ne pourront plus faire de mises à jour.

Si aucun accord n'était trouvé, l'application pourrait aussi disparaître des écrans aux Etats-Unis à partir du 12 novembre, d'après le Trésor.

Précieux algorithme

TikTok a bâti son succès sur son algorithme.

Les dirigeants ont eux-mêmes dévoilé les dessous techniques de la plateforme à la presse spécialisée début septembre.

Le système d'intelligence artificielle de TikTok détermine les contenus les plus susceptibles d'intéresser chaque utilisateur tout en évitant les redondances qui pourraient les ennuyer, comme de voir plusieurs vidéos avec la même musique.

Contrairement à d'autres réseaux comme Facebook ou Twitter, la technologie se base avant tout sur les goûts, plus que sur les contacts, dans son choix d'affichage.

La Chine refuse que ce précieux algorithme ne tombe dans l'escarcelle américaine. Le 28 août, Pékin a inclus les algorithmes dans la liste des technologies d'intelligence artificielle ne pouvant être exportées sans autorisation.

Négociations

Depuis les décrets signés par Donald Trump cet été, la saga TikTok n'en finit plus.

Le 19 septembre, l'application a confirmé un projet de création d'une nouvelle société, TikTok Global, impliquant Oracle en tant que partenaire technologique aux Etats-Unis et Walmart en tant que partenaire commercial.

Il prévoit une prise de participation de 12,5% d'Oracle et de 7,5% de Walmart. Les Américains détiendraient quatre des cinq sièges au conseil d'administration.

La balle est dans le camp des gouvernements américain et chinois.

ByteDance a indiqué jeudi avoir demandé au ministère chinois du Commerce une autorisation d'exportation de technologie -- sans toutefois clairement lier cette initiative à une éventuelle vente de TikTok.

Cet été, Donald Trump a, lui, demandé une sorte de commission pour le Trésor américain en cas de rachat de l'appli.

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