PARIS (Reuters) - Les numéros d'appels d'urgence pourraient être inaccessibles dans certaines régions en France en cas de coupures de courant prolongées cet hiver, a prévenu mercredi la directrice générale d'Orange, Christel Heydemann, alors que la guerre en Ukraine expose le pays au risque de rationnement énergétique.

Les propos de la dirigeante, qui a pris les rênes d'Orange en avril, contrastent avec ceux, plus rassurants, du gouvernement et soulignent les difficultés que fait peser sur l'industrie des télécommunications la perspective de coupures de courant prolongées.

"Si dans une zone géographique, (les services de réseau mobile) sont éteints pendant deux heures, il n'y aura pas d'accès au service des numéros d'urgence pendant un temps", a-t-elle dit lors d'une audition par la commission des Affaires économiques du Sénat.

"Il est illusoire d'imaginer qu'en cas de délestage, on saura maintenir un service continu pour l'ensemble des Français", a ajouté la dirigeante.

Des responsables du secteur des télécoms ont indiqué en septembre à Reuters craindre qu'un hiver rigoureux en Europe ne mette à l'épreuve les infrastructures, contraignant les pouvoirs publics et les entreprises à prendre des mesures.

Insistant sur l'impossibilité d'installer à temps des batteries de secours sur les milliers d'installations du réseau mobile, la directrice générale du groupe a affirmé qu'il faudrait cinq années pour y parvenir sur l'ensemble du territoire.

Selon Christel Heydemann, Orange a réalisé de nombreux tests sur son réseau mobile en France pour évaluer et anticiper les risques de coupures.

D'après les scénarios actuels discutés avec le gouvernement, Orange serait informé de toute coupure d'électricité et de sa localisation précise la veille à 17h00 (16h00 GMT).

Le groupe français cherche à obtenir ces informations 24 heures avant la survenue d'une coupure afin que les techniciens puissent intervenir sur le terrain le plus rapidement possible, a fait savoir Christel Heydemann.

"Je crains que nos concitoyens et les Français découvrent que les réseaux télécoms dépendent de l'électricité", a-t-elle dit devant la Commission des affaires économiques du Sénat.

"BRAS DE FER" ENTRE LES OPÉRATEURS ET LES AUTORITÉS

"Les opérateurs mettent la pression pour que nous ne coupions pas leurs antennes, il y a une sorte de bras de fer", a déclaré une source gouvernementale. "Cela fait un an et demi que le gouvernement travaille sur le sujet, nous sommes en contact avec les opérateurs, nous voyons ce qu'on peut faire avec Enedis et RTE".

Selon cette source, les préfets sont chargés d'identifier les zones concernées par les coupures et de proposer des mesures alternatives comme la mise en place de patrouilles, par exemple.

Un porte-parole du ministère chargé de la Transition numérique et des télécommunications n'a pas souhaité faire de commentaire.

Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution d'électricité, a de son côté fait savoir que sa priorité et celle des pouvoirs publics était "d'aider les opérateurs télécoms à préserver l'accès aux numéros d'urgence, notamment au 112, en cas de dispositif exceptionnel de délestage".

"Les discussions sont encore en cours (...) pour trouver les meilleures solutions possibles permettant de limiter les impacts liés à de potentielles coupures temporaires", a ajouté Enedis.

Les mises en garde de Christel Heydemann tranchent avec les récents commentaires, moins alarmistes, du gouvernement sur les risques liés aux numéros d'appels d'urgence.

"Dans les scénarios qu'on envisage, et s'il y avait des problèmes d'approvisionnement en électricité à un moment donné, il existe ce qu'on appelle des 'antennes-ressources', qui sont bien réparties sur tout le territoire national et en fait, une seule antenne par exemple d'un seul opérateur fonctionnelle suffit pour que tous les numéros d'urgence puissent fonctionner", a expliqué mardi le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, devant la presse à l'issue du conseil des ministres.

Seules quelques milliers d'antennes mobiles seraient à ce stade totalement préservées d'éventuelles coupures, a précisé une source du secteur, ce qui protégerait seulement une fraction de la population.

(Mathieu Rosemain et Elizabeth Pineau, avec la contribution de Benjamin Mallet, version française Laetitia Volga, édité par Blandine Hénault et Kate Entringer)

par Mathieu Rosemain et Elizabeth Pineau