Le marché des télécommunications est extrêmement concurrentiel, tant sur le plan de l’infrastructure que sur celui des prix et des services. À cela s’ajoute l’émergence de nouveaux acteurs comme les opérateurs satellitaires, à l’image de Starlink. Dans ce contexte, il semble plus probable d’assister à une réduction progressive du nombre d’opérateurs qu’à l’arrivée de nouveaux concurrents. D’après Bloomberg, Altice France chercherait effectivement à vendre SFR, ce qui ramènerait le nombre d’opérateurs de 4 à 3 sur le marché français... si un des trois autres acteurs se porte acquéreur !
Altice France en difficulté
Dirigé par Patrick Drahi, le groupe fait face à de sérieuses difficultés financières depuis plusieurs années. Fin 2024, sa dette s’élevait à environ 24 milliards de dollars. D’après des informations relayées par BFM-TV et confirmées par l’AFP, Altice France se prépare à lancer une procédure de sauvegarde accélérée. Cette procédure, d’une durée de 4 mois, doit permettre la mise en œuvre d’un plan de restructuration de la dette négocié en février. Le groupe affirme avoir trouvé un accord avec plus de 90% de ses créanciers pour réduire sa dette de 8,6 milliards d’euros, la ramenant à 15,5 milliards, en contrepartie d’une cession de 45 % de son capital.
Pour mieux cerner les enjeux juridiques de cette démarche, Maître Bobillier et son assistante Domitille, qui constitue notre pôle de spécialistes en la matière, expliquent que cette procédure intervient après l’échec d’un accord de conciliation, à la demande de l’entreprise. Un administrateur judiciaire est alors nommé par le tribunal. Celui-ci, en collaboration avec la direction de l’entreprise, constitue des “classes de parties” regroupant les créanciers selon la nature de leurs créances. Chaque classe concernée doit approuver le plan de restructuration à une majorité des deux tiers des voix.
Les créanciers concernés par la procédure voient leurs créances gelées : ils ne peuvent pas en exiger le paiement tant que la procédure est en cours. Maître Bobillier précise que cette procédure ne peut être convertie en redressement ou liquidation judiciaire. Au terme des quatre mois, deux issues sont possibles : l’adoption du plan de sauvegarde ou la clôture de la procédure faute d’accord.
Une vente de SFR à l’horizon ?
Si l’entrée en procédure de sauvegarde et les discussions autour d’une vente de SFR ne sont pas directement liées, elles s’inscrivent toutefois dans un même climat de repositionnement stratégique. Selon Bloomberg, Altice envisagerait de céder une part majoritaire de SFR. Tous les grands opérateurs français (Iliad, Orange et Bouygues) seraient sur les rangs, mais ils feraient face à la concurrence d’acteurs étrangers, comme Emirates Telecommunications Group, ou encore des fonds de capital-investissement.
Les discussions n’en seraient qu’à un stade préliminaire, et une éventuelle transaction ne pourrait avoir lieu qu’après la fin de la procédure de sauvegarde, soit pas avant l’automne 2025. Pour rappel, SFR appartenait auparavant au groupe Vivendi avant d’être racheté par Numéricable en 2014.
Quelles perspectives pour le marché ?
La perspective d’une vente de SFR est un véritable serpent de mer. En cas de transaction, plusieurs éléments doivent être pris en compte. D’une part, pour des raisons de souveraineté, il semble peu probable que l’État valide la cession à un acteur non français, les télécoms étant considérés comme un secteur stratégique. D’autre part, un rachat par Orange paraît difficile à envisager du fait de sa position déjà dominante, notamment sur l’internet haut débit où il détient plus de 50% de parts de marché.
Les analystes de Zonebourse estiment donc qu’une consolidation autour de Bouygues ou d’Iliad serait plus réaliste. Si la vente se concrétise, on pourrait aussi s’attendre à une révision des différentes grilles tarifaires. La France reste aujourd’hui l’un des pays européens aux tarifs les plus bas, conséquence d’une intense guerre des prix lancée notamment par Free avec son abonnement à 2 €. Mais dans un marché resserré à trois opérateurs, un réajustement tarifaire “concerté” pourrait s’imposer.
Actuellement leader du marché, Orange compte 22 millions de clients dans le mobile et 25,4 millions dans l’internet haut débit. Mais quel que soit le scénario envisagé, l’opérateur historique serait dépassé sur le segment mobile en cas de rachat de SFR par l’un de ses concurrents. En effet, une acquisition par Bouygues porterait ce dernier à 37,7 millions de clients mobiles et 11,3 millions en haut débit. Une fusion avec Iliad (Free) aboutirait à un ensemble totalisant 34,9 millions d’abonnés mobiles et 13,6 millions en haut débit.
Ainsi, si Orange resterait intouchable sur le haut débit, l’enjeu majeur porte sur le sort des 19,4 millions de clients mobiles actuellement dans le portefeuille de SFR. Et l’ironie de l’histoire serait totale si Bouygues finissait par acquérir SFR, après que Patrick Drahi eut tenté de racheter Bouygues Telecom en 2015… et que la bourse avait été déçue par l’abandon du rachat de Bouygues Telecom par Orange en 2014.