Peter Thiel et Alexander Karp – respectivement président et CEO – sont les deux acolytes derrière cette étrange société qui capitalise désormais plus de 250 milliards de dollars à la bourse américaine. 

Graphique Palantir Technologies Inc.

Une machine de guerre économique

Palantir prospère dans les périodes de crise, des attentats du 11 septembre à la pandémie de COVID-19, en passant par la transformation numérique des entreprises. Sa force ? Une approche résolument pragmatique qui contraste avec les lourdeurs bureaucratiques, approche que son management revendique d'ailleurs largement dans sa communication. Là où les marchés traditionnels peinent à s'adapter, Palantir impose son modèle disruptif, remettant en cause les coûteuses infrastructures informatiques par la promesse de solutions plus performantes et plus rentables.

Palantir n'est pas un simple fournisseur de logiciels : c'est un pilier du renseignement et de la défense des États-Unis. Ses technologies, adoptées par le Pentagone et la CIA, offrent un avantage décisif sur le terrain, permettant des prises de décision ultra-rapides. 

Son PDG, Alexander Karp, ne cache pas l'engagement de l'entreprise en faveur des valeurs occidentales et de la suprématie américaine face aux menaces émergentes. Il conclut sa lettre aux actionnaires de février 2025 par ces mots lourds de sens : "Quand il s'agit de promouvoir les intérêts d'une institution, d'une nation, la suffisance et l'abandon de toute humilité sont l'ennemi du progrès. Ce sentiment de complétude, souvent seulement temporaire, la certitude de la fin de l'histoire comme la condescendance envers un adversaire ou un compétiteur battu, peut être fatale. La complaisance technique d'une société est bien souvent le reflet de ses choix politiques comme de ses instincts. Notre engagement pour la tolérance et la transparence – nos valeurs en tant que culture – est sans aucun doute irrépressible et exaltant. Nous ne pouvons néanmoins pas espérer qu'elles suffisent seules pour l'emporter, et nous protéger. Un exposé plus exhaustif autour de cette idée, et ses implications contemporaines au moment crucial auquel nous en sommes, est présenté dans l'ouvrage à paraître La République Technologique. Comme l'écrit Samuel Huntington, l'essor de l'Occident n'a pas été rendu possible "par la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion, [...] mais plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée." Il poursuit : "Les Occidentaux l'oublient souvent ; les non-Occidentaux jamais.

Au-delà des algorithmes, Palantir développe une véritable ontologie des données, structurant l'information pour en extraire une intelligence opérationnelle. Le terme "ontologie" et sans doute celui que le management met le plus en avant quand il s'agit d'expliquer en quoi l'IA propulsée par Palantir est en avance sur les autres formes de déploiement. Cette culture de la performance et de l'innovation s'exprime dans son recrutement sélectif et sa capacité à briser les résistances institutionnelles par la puissance de ses résultats. Là encore, les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent, mais force est de constater que Palantir parvient à engranger des contrats importants et à conserver ses clients majeurs. 

Un bastion anti-Chine et un regard sévère sur l'Europe

Face à l'expansion technologique chinoise, Palantir adopte une posture de défiance. Ses outils sont conçus pour contrer les cybermenaces et préserver la souveraineté informationnelle des États-Unis et de leurs alliés. Dans cette guerre de l'information, Palantir est à la fois bouclier et épée. Shyam Sankar, le CTO du groupe, n'hésite pas à affirmer que les Etats-Unis sont engagés dans une course à l'armement IA avec la Chine, parce que c'est une guerre, une vraie.

La position vis-à-vis de l'Europe est… attristée. Malgré un fort potentiel de croissance, Palantir se heurte en Europe à la complexité réglementaire et à une méfiance institutionnelle envers les entreprises américaines. Pourtant, l’efficacité de ses solutions en matière de cybersécurité et de gestion de crise pourrait en faire un partenaire clé... à condition de surmonter les blocages culturels et administratifs.

Palantir est bien plus qu’un nom : c’est le symbole d’une domination informationnelle où vitesse, puissance et pragmatisme dictent la loi. Sans aucun angélisme. 

Ils se définissent vraiment comme une entreprise dans la défense puisqu'il se compare souvent à des acteurs tels que RTX, Lockheed Martin, Boeing, General Dynamics, Northrop Grumman, L3Harris ou encore Huntington Ingalls Industries

Source : Palantir 

Palantir s'est depuis étendue au domaine civil avec de nombreuses applications. Ils sont en concurrence avec de nombreuses sociétés logicielles comme SAP, Alteryx, Databricks, Anduril ou encore Snowflake

Ce que fait réellement Palantir 

A chaque fois que je demande à un investisseur-passionné de Palantir ce que fait l'entreprise, il se retrouve souvent à m'expliquer en quoi l'entreprise est "géniale" sans vraiment comprendre ce qu'elle propose. J'ai plongé au cœur de la machine pour enfin résoudre ce mystère. Que fait réellement Palantir ? L'entreprise américaine propose une suite logicielle : Gotham, Foundry, Apollo et AIP. 

  • Gotham a fait beaucoup parler de lui, surtout dans le milieu gouvernemental. C'est un outil qui collecte des données de toutes sortes de sources, comme des emails, des fichiers texte ou des images, et qui les organise pour en tirer des informations utiles. Il est particulièrement prisé par les secteurs de la défense et de l'armée. Ce qui rend Gotham intéressant, c'est sa capacité à relier différentes données pour créer une sorte de carte des relations, un peu comme les tableaux d'enquêteurs qu'on voit dans les séries policières. Il a aussi un système de gestion des accès pour s'assurer que seules les personnes autorisées peuvent voir certaines informations sensibles. Un exemple concret de son utilisation, c'est la police de Los Angeles qui s'en est servi en 2009 pour une opération appelée Laser. L'idée était d'identifier les personnes susceptibles de commettre des crimes. Gotham compilait des données issues de rapports de police et d'interrogatoires pour dresser une liste de personnes à surveiller. Les policiers utilisaient ensuite ces informations pour intervenir, même pour des infractions mineures. Gotham a aussi été utilisé lors de l'ouragan Florence en 2018 par Team Rubicon, une organisation de bénévoles anciens militaires, pour coordonner l'aide humanitaire. Cette opération a permis de redorer l'image de Palantir, souvent critiquée pour son manque de transparence. En 2019, le Canada a déboursé près d'un million de dollars pour une licence de Gotham, preuve de son attrait international. Le logiciel a même séduit la DGSI en France, qui l'utilise pour cartographier les réseaux criminels et terroristes. Le logiciel surfe sur sa réputation : il aurait permis de trouver Oussama Ben Laden à Abbottabad au nord du Pakistan. Gotham est capable de rassembler toutes sortes d'informations sur un suspect, comme ses numéros de téléphone, ses emails, et ses relations, et de les présenter de manière claire et accessible. Palantir continue d'améliorer Gotham. Ils ont ajouté un assistant virtuel basé sur le machine learning, appelé AVA, qui alerte les enquêteurs dès qu'une nouvelle info est disponible. Et pour les forces spéciales américaines, ils ont développé un outil de cartographie, Gaïa, qui permet de suivre en temps réel la position des troupes et des drones. Gotham est un outil puissant qui continue d'évoluer et de séduire les agences de sécurité du monde entier. 

Source : Palantir 

  • Foundry, c'est un peu le couteau suisse des entreprises qui veulent tirer parti de leurs données. Contrairement à son prédécesseur Metropolis, qui n'a pas vraiment séduit en dehors des services financiers, Foundry a su conquérir un large éventail de secteurs, de l'aéronautique avec Airbus à la Formule 1 avec Ferrari. Alors, qu'est-ce qui rend Foundry si spécial ? D'abord, il se connecte à des centaines de bases de données différentes, les traduit en un langage commun et permet de découvrir des corrélations invisibles à l'œil nu. C'est comme si vous aviez un traducteur universel pour vos données, capable de les rendre compréhensibles et exploitables. Ce qui distingue Foundry, c'est sa capacité à intégrer des données provenant de divers systèmes, qu'il s'agisse de l'ERP, du MRP ou même de l'IoT. Il centralise tout cela dans une plateforme sécurisée basée sur le cloud. Les utilisateurs peuvent facilement accéder aux données, les manipuler et les analyser grâce à des outils intuitifs, qu'ils soient experts en data science ou novices. Prenons l'exemple d'Airbus. Grâce à Foundry, l'avionneur a pu réduire considérablement le temps nécessaire pour identifier et résoudre des problèmes techniques, passant de 24 mois à seulement deux semaines pour un souci de pompe à fuel sur l'A380. C'est un gain de temps énorme qui montre bien l'efficacité de la plateforme. Et pour Ferrari, Foundry permet de combiner l'expertise des ingénieurs avec une montagne de données, créant ainsi un jumeau numérique de la voiture de course. Cela aide l'équipe à prendre des décisions plus rapides et mieux informées sur la configuration technique à adopter pour chaque circuit. Foundry permet aux entreprises de briser les silos de données, favorisant ainsi l'innovation et l'optimisation des opérations. C'est cette capacité à transformer des montagnes de données en informations exploitables qui fait de Foundry un outil prisé par des géants comme la CIA, Sanofi, et bien d'autres. 

Source : Palantir 

  • Apollo s'occupe de déployer et de mettre à jour les logiciels de Palantir, comme Gotham et Foundry, sur différents types de cloud, qu'ils soient publics ou privés. Apollo fonctionne avec une architecture de microservices, ce qui lui permet de gérer les mises à jour de manière fluide et continue. C'est super pratique pour les entreprises qui jonglent avec plusieurs environnements cloud, car Apollo s'assure que tout reste à jour sans que les développeurs aient à se casser la tête. Le logiciel est conçu pour être flexible et s'adapter à tous les types d'environnements, qu'ils soient sur site, dans le cloud ou même dans des réseaux isolés. Apollo centralise tout ça grâce à un "Apollo Hub" qui garde un œil sur l'état de chaque environnement et propose des plans de mise à jour adaptés. En plus, Apollo est équipé pour gérer la sécurité et la conformité, ce qui est crucial pour les entreprises qui doivent respecter des réglementations strictes. Il intègre des outils de sécurité qui aident à gérer les vulnérabilités et à s'assurer que les logiciels déployés sont sûrs. Enfin, Apollo est conçu pour s'intégrer facilement avec les outils existants d'une entreprise, comme les systèmes de contrôle de version ou les dépôts d'artefacts. Cela permet aux entreprises de continuer à utiliser leurs outils préférés tout en bénéficiant des capacités de gestion et de déploiement d'Apollo. 
  • Enfin, AIP permet d'activer les LLM (Large Language Model) et autres outils IA sur le réseau privé des clients. Il existe de nombreuses API spécifiques par secteur d'activité et par fonction. Cette suite logicielle permet d'intégrer les données consommateurs et de résoudre des réclamations facilement pour les équipes SAV, rationner les processus de paiement et optimiser le fonds de roulement, améliorer la planification des équipes sur le terrain, le rééquilibrage des stocks, la gestion des fournisseurs et toute la logistique de la chaîne d'approvisionnement, permet la maintenance prédictive pour anticiper les pannes et prévoir la demande future ainsi que de nombreuses autres fonctionnalités. 

Source : Palantir 

Dernière publication du Q4 2024 

Palantir a annoncé des résultats impressionnants pour le quatrième trimestre 2024, soutenus notamment par la partie commerciale qui affiche des taux de croissance de 64% sur un an aux Etats-Unis atteignant 214 millions de dollars contre une croissance de 45% pour les recettes du gouvernement américain. L'ensemble du chiffre d'affaires est en croissance de 36%, tiré par les Etats-Unis à 52% de croissance YoY. 67% du chiffre d'affaires étant réalisé aux Etats-Unis. La croissance est plus molle à l'international, en particulier en Europe. 

Source : Palantir 

Palantir développe ses contrats avec ses partenaires existants avec un taux de rétention important (120% au Q4 2024) mais développe surtout le nombre de ses clients qui a augmenté de 43% sur un an passant de 497 à 711 (dont 571 clients commerciaux). La règle des 40 (addition de la marge opérationnelle ajustée et de la croissance du chiffre d'affaires) a clairement été explosé et ne fait qu'augmenter de trimestre en trimestre depuis deux ans, passant de 42% au premier trimestre 2023 à 81% au quatrième trimestre 2024. 

Sur l'année 2024, la société a versé 281,7 millions de dollars en SBC (Stock-Based Compensation) aux employés, soit 60% du flux de trésorerie liés aux activités opérationnelles et 24% du chiffre d'affaires. Palantir a toujours été généreuse sur ce genre d'opérations afin de conserver ses meilleurs éléments, ce qui lui a permis de creuser l'écart avec la concurrence. Un mal pour un bien on va dire mais on apprécierait un retour à des conditions "normales" à terme, c'est-à-dire des SBC sous les 5% du flux de trésorerie opérationnel. 

Pour 2025, la société prévoit un chiffre d'affaires compris entre 3,741 et 3,757 milliards de dollars et un FCF ajusté des SBC entre 1,5 et 1,7 milliard. 

Valorisation record 

La valorisation de Palantir fait beaucoup débat. A titre personnel, je m'écarte des valeurs très populaires auprès des particuliers qui s'échangent à des multiples stratosphériques. On parle de 360 fois ses bénéfices estimés pour 2025 et 65 fois sa valeur d'entreprise sur son chiffre d'affaires, soit l'entreprise la plus chère de la cote à ma connaissance. A côté, Nvidia apparaît être une entreprise value tant l'écart est important. Il faut dire que l'histoire sur laquelle surfe Palantir est magnifiquement bien montée. Le leader de l'analyse de données creuse l'écart avec ses concurrents tels que Alteryx, Databricks, Anduril, Snowflake, Tableau Software, Tyler Technologies, Verint ou Splunk et ce sur un marché naissant, gigantesque et en devenir. La route semble toute tracée avec une croissance linéaire estimée "high double digit" pour la prochaine décennie et des clients qui se bousculent en nombre au portillon. 

La santé financière est une véritable forteresse avec plus de 5,2 milliards de dollars de cash au bilan et aucune dette. Les marges et la conversion cash sont parmi les meilleures références du secteur (83% de marge brute, 45% de marge opérationnelle et 63% de marge FCF ajustée).

Avec des fondamentaux pareils, Palantir mérite le haut du panier, mais 152 fois sa VE/EBITDA pour 2025 est trop cher à mon sens. Le scénario idéal est intégré dans les cours. Même si Palantir a les caractéristiques de la prochaines GAFAM (j'ai d'ailleurs créé un portefeuille "Next Magnificent Seven" dans lequel elle a sa place actuellement), je crois qu'il est déraisonnable de rentrer maintenant sur le titre après la vague de hype que l'on vient d'observer. Tôt ou tard, Palantir fera une erreur de parcours, et à ces niveaux de prix, la volatilité ne pardonne pas. Il y aura certainement de meilleurs points d'entrée sur le titre dans les trimestres et/ou années à venir pour un risque moindre.