* Il aurait touché illégalement plusieurs millions d'euros

* Les anciens présidents Lula et Rousseff également mis en cause

* Les appels à la démission du chef de l'Etat se multiplient (Actualisé avec communiqué de JBS)

par Lisandra Paraguassu

BRASILIA, 21 mai (Reuters) - Le président du Brésil, Michel Temer, s'est vivement défendu samedi des accusations de corruption portées contre lui, redisant qu'il n'avait aucune intention de démissionner.

La Cour suprême du Brésil a lâché une bombe en dévoilant jeudi un témoignage l'accusant, lui et deux anciens présidents, Luiz Inacio Lula da Silva et Dilma Rousseff, d'avoir reçu l'équivalent de plusieurs millions d'euros de pots-de-vin.

Ce témoignage livré par des cadres du groupe alimentaire JBS SA, numéro un mondial du conditionnement de viande, a été obtenu en échange d'une réduction de peine dans le cadre de l'opération anti-corruption "Lava Jato" ("Lavage express") qui secoue le pays depuis de longs mois.

Il pose la question du maintien au pouvoir du président Temer, qui a lui-même succédé à Dilma Rousseff, destituée l'an dernier pour manipulation des comptes publics.

La Cour suprême a ouvert jeudi une enquête visant Michel Temer pour corruption et obstruction à la justice. Les appels à sa démission se multiplient, y compris dans les colonnes du quotidien O Globo, pourtant critiqué par l'opposition de gauche pour ses positions en faveur des conservateurs.

"C'est de loin le pire moment au Brésil depuis le retour de la démocratie (dans les années 1980)", estime Claudio Couto, politologue à la Fondation Getulio Vargas.

Michel Temer nie toute malversation et exclut de démissionner. Samedi, affirmant que "le Brésil ne sera pas dévié de sa route", il a demandé à la Cour suprême de vérifier l'intégrité d'un enregistrement le mettant en cause, à savoir s'il n'a pas été édité après coup.

Et, en attendant, de suspendre l'enquête ouverte contre lui.

Dans un communiqué diffusé dans la soirée, J&F Investimentos, actionnaire majoritaire de JBS, a déclaré que l'enregistrement avait été remis dans son intégralité à la justice et qu'il "n'avait jamais fait l'objet d'une quelconque manipulation".

"TISSU DE MENSONGES"

Dans cet enregistrement audio diffusé par la Cour suprême et effectué en secret par le patron de JSB, Joesley Batista, lors d'un entretien en mars, le président Temer semble tolérer le versement d'argent à l'ancien président de la Chambre des députés Eduardo Cunha, pour qu'il accepte de se taire.

Dans son intervention samedi au palais présidentiel, Michel Temer a jugé que les déclarations des cadres de JBS n'étaient qu'un "tissu de mensonges" et pleines de contradictions.

JBS, jadis un petit producteur de viande, a connu une croissance exponentielle pendant les treize années de gouvernement dirigé par le Parti des Travailleurs (PT, gauche), sous les présidences de Lula et Dilma Rousseff. Il s'est étendu grâce à des acquisitions financées par des prêts à faible taux d'intérêt accordés par la Banque de développement du Brésil.

Les dirigeants de JBS qui ont témoigné devant la justice en échange d'une remise de peine disent avoir versé environ 500 millions de reais (137 millions d'euros) à des responsables politiques et à des fonctionnaires en échange de l'obtention de contrats publics, de crédits auprès des banques et du règlement de litiges, fiscaux notamment, avec l'administration.

Le président Temer a démenti avoir fait obstruction à la justice en intervenant dans l'enquête ou avoir touché des pots-de-vin. Les avocats de Lula affirment l'innocence de leur client et Dilma Rousseff a nié toute malversation.

Les trois anciens ou actuel présidents ne sont pas les seuls concernés par le témoignage JBS qui met en cause des élus du Congrès, des ministres et plusieurs gouverneurs et maires de grandes villes. Tous les partis sont impliqués, dans la coalition gouvernementale comme dans l'opposition.

EDUARDO CUNHA, TÉMOIN CLÉ

Selon ces récits, Michel Temer, du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), a reçu 15 millions de réals (4 millions d'euros) de dessous-de-table de JBS.

Pour l'ancien président Lula, déjà visé par cinq procès pour corruption, la Cour suprême donne un chiffre équivalent à environ 45 millions d'euros reçus sur des comptes à l'étranger. L'ex-présidente Dilma Rousseff aurait perçu près de 27 millions d'euros, également placés sur des comptes à étranger.

L'opération Lava Jato vise un vaste système de corruption, qui permettait aux sociétés d'obtenir des contrats dans des entreprises publiques, notamment auprès de la société pétrolière Petrobras.

Plus de 90 hommes d'affaires et politiques ont déjà été inculpés et des dizaines de parlementaires et un tiers des membres du gouvernement Temer font l'objet d'investigations.

Eduardo Cunha a été l'un des initiateurs de la procédure de destitution de Dilma Rousseff. Reconnu par la suite coupable de corruption, il a été condamné en mars à 15 ans de prison.

De nombreux dirigeants politiques craignent que s'il devait devenir témoin, son témoignage ne mette en cause des dizaines de parlementaires et de membres de l'exécutif. (Avec Brad Brooks à Sao Paulo, Danielle Rouquié, Jean-Stéphane Brosse et Gilles Trequesser pour le service français)

Valeurs citées dans l'article : JBS SA, Petroleo Brasileiro SA Petrobras