MOSCOU, 8 août (Reuters) - Les compagnies aériennes russes, dont Aeroflot, démantèlent des avions de ligne pour se procurer des pièces détachées qu'elles ne peuvent plus acheter à l'étranger en raison des sanctions occidentales, ont déclaré quatre sources du secteur à Reuters.

Moscou a recommandé en juin dernier aux compagnies aériennes, plus de trois mois après le début de l'invasion de l'Ukraine, d'utiliser les pièces détachées de certains avions afin de garantir que sa flotte de fabrication étrangère puisse continuer à voler au moins jusqu'en 2025.

Les sanctions imposées à la Russie après l'envoi de ses troupes en Ukraine fin février empêchent les compagnies aériennes d'obtenir des pièces de rechange ou de bénéficier d'opérations de maintenance en Occident.

Au moins un Soukhoï Superjet 100 de fabrication russe et un Airbus A350, tous deux exploités par Aeroflot, sont actuellement cloués au sol et en cours de démontage, a déclaré une source qui a requis l'anonymat en raison du caractère sensible du sujet.

L'Airbus A350 est presque neuf, a précisé la source.

La majeure partie de la flotte d'avions de la Russie est constituée d'appareils commerciaux occidentaux.

Des équipements ont été prélevés sur quelques Boeing 737 et Airbus A320 d'Aeroflot, car le transporteur a besoin de plus de pièces de rechange de ces modèles pour ses autres Boeing 737 et Airbus A320, a précisé la source.

Le ministère russe des Transports et Aeroflot n'ont pas répondu aux demandes de commentaires dans l'immédiat.

UNE QUESTION DE TEMPS

Les Soukhoï Superjet assemblés par les Russes sont également très dépendants des pièces étrangères. Selon la première source, le moteur d'un Superjet a été démonté pour l'installer dans un modèle similaire afin qu'il continue à voler.

Les moteurs sont fréquemment échangés entre avions et généralement fournis dans le cadre de contrats distincts ; ils ne sont pas considérés comme faisant partie de la carlingue, selon les experts du secteur.

Ce n'est "qu'une question de temps" avant que les avions basés en Russie ne soient cannibalisés, a déclaré une source occidentale de l'industrie aéronautique.

Les nouvelles générations d'appareils - A320neo, A350 et Boeing 737 MAX et 787 - présentent des technologies qui doivent être constamment mises à jour.

Dans l'année qui suivra l'entrée en vigueur des sanctions, il sera "difficile" de maintenir les appareils modernes en service, même si la Russie dispose d'une base d'ingénierie hautement développée et compétente, estiment des sources occidentales.

Près de 80% de la flotte d'Aeroflot est constituée de Boeings et d'Airbus : elle comptait fin 2021 134 Boeing et 146 Airbus, ainsi que près de 80 Soukhoï Superjet-100 de fabrication russe, selon les dernières données disponibles.

Selon les calculs de Reuters basés sur les données de Flightradar24, quelque 50 avions d'Aeroflot - soit 15% de sa flotte, y compris les avions bloqués par les sanctions - n'ont pas décollé depuis fin juillet.

DÉMANTÈLEMENT

Selon le plan de développement de l'industrie aéronautique russe à l'horizon 2030, la Russie pourrait être confrontée à des défis plus importants avec l'A350 et les séries Q de Bombardier, leur maintenance étant effectuée à l'étranger.

L'avis du gouvernement russe envisage le "démantèlement partiel de certaines parties de la flotte d'avions", ce qui permettrait de maintenir opérationnels les deux tiers des appareils d'origine étrangère d'ici fin 2025.

Le principal défi sera de maintenir les moteurs et les équipements électroniques sophistiqués en état de marche, estime Oleg Panteliev, directeur de l'organisation Aviaport.

Aeroflot, qui figurait autrefois parmi les meilleures compagnies aériennes au monde, mais qui dépend désormais du soutien de l'État, a vu son trafic chuter de 22% au deuxième trimestre de 2022 sur un an, selon les données de la compagnie ; les sanctions l'ont empêchée de desservir la plupart des destinations occidentales.

Et les compagnies aériennes d'Asie et du Moyen-Orient ne pourront probablement pas approvisionner la Russie, selon les sources, face aux risques de sanctions de la part des gouvernements occidentaux.

"Chaque pièce a son propre numéro (unique) et si les documents mentionnent une compagnie aérienne russe comme acheteur final, personne n'acceptera de fournir, ni la Chine, ni Dubaï", a déclaré la première source, ajoutant que Boeing et Airbus doivent être informés de toutes les pièces fournies. (Reportage Reuters ; version française Kate Entringer, édité par Jean-Stéphane Brosse)