La nouvelle génération d’investisseurs ou plutôt de traders particuliers, pour qui la Bourse s’apparente aux paris sportifs, touche depuis quelques mois certaines petites capitalisations. L’exemple le plus emblématique est probablement la valeur Entreparticuliers.com. Cette penny stock (valeur dont l’action est valorisée moins de 1€, ce qui la rend plus accessible et plus volatile) a beau avoir fait l’objet de ventes d’actions par ses dirigeants à 0.85€ fin janvier et d’une publication il y a quelques jours de chiffres ridiculement faibles pour une société cotée (l’unité est la centaine de K€ à tous les niveaux : CA, résultat, trésorerie), elle se traite aujourd’hui autour de 17€ l’action soit 60 M€ de capitalisation boursière. Seule perspective à se mettre sous la dent pour ce tout petit acteur des annonces immobilières sur internet, la dernière phrase du communiqué des résultats annuels : "Il sera proposé à la prochaine AG de changer la dénomination sociale et d'étendre l'objet social de la société afin de faciliter la stratégie de la direction qui passe par le développement d'une nouvelle activité." La société compte-t-elle profiter de sa survalorisation (120x un CA stable en 2020) pour lever des fonds ? Elle aurait tort de s’en priver.

Le cours d'Entreparticuliers

Evolution du Cours de Entreparticuliers.com depuis juin 2020

Vendredi dernier, c’est de Prismaflex International que la folie spéculative s’est emparée. Prismaflex est un petit industriel lyonnais spécialisé dans la fabrication et la commercialisation de mobilier urbain et de panneaux d'affichage à destination des afficheurs et des enseignes de la grande distribution. Le groupe est le seul fabricant-intégrateur européen de panneaux d'affichage LED après avoir opéré un virage vers le digital il y a une dizaine d’années. Fortement présent à l'international, Prismaflex International compte plus de 350 collaborateurs et a réalisé sur les 9 premiers mois de son exercice qui clôturera fin mars 29.84M€ de CA, en baisse de 27%, sans perspective franche de rattrapage sur le dernier trimestre de l’année. Sur les six derniers exercices, comme on peut le constater dans ce tableau, le chiffre d’affaires de l’entreprise stagne depuis 2015 et la société est en perte 5 exercices sur 6. Avec une activité en repli et des pertes accrues au 1er semestre, 2020/21 devrait encore se terminer dans le rouge.

Compte de résultats

Compte de résultat historique simplifié (source Zonebourse.com)

Avec de tels chiffres, jusqu’à jeudi soir, la société était logiquement faiblement valorisée, avec une boursière de 8.6 M€ (forte décote sur fonds propres) pour une vingtaine de millions d’euros de valeur d’entreprise (la société étant particulièrement endettée avec un ratio DFN/EBE >6 à fin mars 2020) extériorisant un ratio VE/CA de 0,4x cohérent avec l’absence de croissance et une très faible rentabilité.

Pourtant, il a suffi d’un communiqué pourtant très peu visible le soir de sa parution le 4 mars pour faire monter le titre dès l’ouverture vendredi, avec une explosion (doublement en 1h) dans la matinée sur fonds de relais médiatiques de sites boursiers confrères.

Que dit ce communiqué du 4 mars ? Que "Prismaflex devient le principal fournisseur de panneaux et écrans LED de Clear Channel" après un référencement débuté il y a un an environ. Et ceci dès l’accroche. Sachant que le reste du communiqué, consultable dans la rubrique presse (et non investisseurs), met en avant les atouts de Prismaflex sur le marché des panneaux et écrans LED, sans citer de perspectives concrètes ni aucun chiffre. Il se conclut par un joli teasing "Dans les prochaines semaines, vous allez découvrir nos plus récentes installations pour Clear Channel au Brésil, en Italie et en Belgique. Plusieurs autres projets à l’international sont encore en cours."

 A la lecture de ce communiqué, il est clair qu’il se passe quelque chose d’important dans l’histoire de Prismaflex qui devient "LE" principal fournisseur d’un des leaders mondiaux de l’affichage, Clear Channel, qui n’est autre que le grand rival de JCDecaux. L’américain Clear Channel réalise environ 2 M€ de CA, capitalise environ 800M$ et investit chaque année, entre autres dans les panneaux LED, 200M€ environ, dans le monde entier, et en particulier aux Etats-Unis. Des chiffres qui donnent (un peu) matière à rêver mais loin d’être suffisants pour réaliser des projections fiables de business potentiel pour Prismaflex.

Pourtant, cela a suffi à faire passer de 9 à 27 M€ la capitalisation boursière de Prismaflex. 26% du capital a été échangé (ou peut-être plutôt 5% des actions échangées 5 fois…) en une seule séance sur ce titre illiquide les jours précédents. Qui d’autre que des day-traders particuliers très actifs sur les réseaux sociaux peut expliquer ce phénomène ? Un rachat de short-seller type Gamestop parait très difficilement envisageable sur ce type de micro-capitalisation illiquide.

D’où, dans un communiqué de presse publié vendredi soir, le "recadrage" de la direction après l’"affichage" de la veille. Cette fois largement diffusé, le communiqué relativise la portée du contrat cadre signé entre les deux sociétés. Avec la divulgation d’un chiffre, 6 M€, soit le montant du CA réalisé avec Clear Channel sur les 9 premiers mois de l’exercice. Chiffre qui correspond au montant des commandes passées depuis le début du partenariat. A noter que ce contrat n’a pas empêché l’entreprise de décroitre de 27% sur 9 mois et que pour éviter toute ambiguïté, Prismaflex précise bien que le chiffre d’affaires annuel est "toujours attendu en  baisse significative en raison de la pandémie liée au Covid-19". Une précision qu’il aurait été plus prudent d’apporter dans le communiqué du 4 mars.

En attendant, le mal est fait et la reprise de cotation ce lundi risque d’être douloureuse pour ceux qui n’avaient pas encore pris leurs bénéfices vendredi. A voir si la direction profitera de l’opportunité de vendre des titres à bon compte, comme on a pu le voir dernièrement dans une configuration similaire. Qu’elle le fasse ce lundi serait bien entendu plus fair-play que vendredi dernier. A suivre…

Montée en flèche

Evolution du Cours de Prismaflex depuis octobre 2018