Le secteur aérien est aujourd'hui résolument engagé dans une démarche de décarbonation de ses activités. Reste à savoir si les hypothèses de croissance affichées (en moyenne 3 % par an) seront compatibles avec l'objectif de neutralité carbone visé par l'Union européenne, à l'horizon 2050.

Longtemps, les compagnies aériennes ont cherché à minimiser leur impact sur le climat. Lorsqu'on les accusait d'immobilisme, leurs représentants rappelaient, immanquablement, la faible contribution du secteur aux émissions mondiales (2 à 3 %), et soulignaient les immenses progrès réalisés pour réduire leur empreinte carbone. L'argument avait quelque chose d'imparable : en l'espace de 30 ans, les consommations de kérozène ont été divisées par deux et les avions de dernière génération consomment entre deux et trois litres aux cent kilomètres par passager, voire moins de deux litres sur certains vols1.

Des leviers bien identifiés

Mais l'impensable est arrivé : avec l'épidémie de COVID-19, le trafic aérien s'est brusquement arrêté, faisant miroiter la perspective d'un monde sans avion. Dans ce contexte, les compagnies aériennes, sous la pression des opinions publiques, ont dû envisager l'avenir différemment. Et prendre des engagements fermes faisant la part belle à la décarbonation.

En octobre 2021, à l'occasion de sa 77èmeAssemblée générale annuelle, l'Association du transport aérien international (IATA) a adopté une résolution fixant un objectif de « zéro émission nette » à l'horizon 2050. Pour y parvenir, les émissions devront être divisées par deux par rapport à leur niveau de 2005.

Le secteur dispose pour l'essentiel de deux leviers pour se transformer en moins de trois décennies : la modernisation des flottes et le développement de carburants alternatifs. Moderniser l'ensemble des flottes à l'échelle mondiale permettrait de réduire les émissions de 30 %, mais il faudrait, pour y parvenir, des investissements massifs. Au rythme actuel de renouvellement des appareils (25 ans en moyenne), le gain ne serait que de 1 % par an.

Les plus grandes attentes sont donc placées dans les carburants alternatifs, désignés le plus souvent sous le nom de SAF (pour « sustainable aviation fuel ») : des carburants durables d'aviation produits à partir d'huiles végétales ou de cuisson, de graisses animales, de sucres ou d'amidons. Certaines algues, certaines plantes et résidus de bois peuvent également servir à leur fabrication. Dans le scénario développé par l'IATA, 65 % des efforts de décarbonation proviendraient de ces carburants sans pétrole.

En France, le taux d'incorporation des SAF, soit la part de carburant mélangé au kérosène, est actuellement fixé à 1 %. Il devra ensuite passer à 2 % en 2025, puis à 5 % en 2030, 20 % en 2035, pour atteindre 63 % en 2050.

Les carburants durables, vraie solution ou fausse promesse ?

La difficulté est que la production demeure embryonnaire et que si certains procédés sont aujourd'hui bien maîtrisés (la fabrication à base d'huiles de cuisson usagées notamment), d'autres doivent encore être améliorés et nécessitent un important travail de R&D.

Leur coût de production est également très élevé, de l'ordre deux à six fois celui du kérozène actuellement utilisé. Des trilliards de dollars seront donc nécessaires pour atteindre les volumes attendus. Avec à la clé une augmentation inévitable du prix des billets. Toute la question est de savoir qui paiera : le consommateur ou le contribuable ? Question d'autant plus légitime que ces carburants bénéficient de subventions telles aux Etats-Unis qu'ils sont seulement 10 % plus chers que le kérozène2.

Un impensé : la croissance du trafic

Reste une inconnue, dont dépend en grande partie la réussite du scénario envisagé par l'IATA : la croissance du trafic. La filière, après un retour au niveau d'avant-crise aux alentours de 2024, envisage que celui-ci progresse ensuite au rythme de 3 % par an jusqu'en 2050. Ce qui pourrait rendre difficile, voire hors d'atteinte, l'objectif de « zéro émission nette » que le secteur s'est fixé.

Grégoire Carpentier, ingénieur aéronautique et coauteur avec leShift Projectdu rapport « Pouvoir voler en 2050 », a bien résumé ce dilemme de la croissance auquel seront inévitablement confrontés les professionnels du transport aérien, si les deux leviers envisagés ne se révélaient pas aussi efficaces que prévu :« Si les avions du futur sont mis sur le marché dans les temps, si nous accélérons suffisamment le renouvellement de la flotte pour passer à un taux de 100 % de SAF ou à l'hydrogène, et si ces énergies sont disponibles en quantité suffisante, alors la croissance du trafic sera possible. » Croître ou ne pas croître, telle est la question, et elle pourrait se poser bien avant 2050.

1 « Décarbonation du transport aérien », Analyse & Propositions du CORAC, décembre 2021.

2 Juliette Raynal, « Sortir du kérozène : le défi colossal mais impératif de l'aviation », La Tribune, 7 juin 2022.

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