Défini et mis en place dès 1997 par le protocole de Kyoto, le marché du carbone a connu depuis des évolutions substantielles pour devenir un instrument privilégié de la lutte contre le réchauffement climatique. Entre principes reconnus à l'échelle internationale et pragmatisme dans la mise en place des marchés régionaux, l'extension et l'efficacité du marché du carbone apparait aujourd'hui comme un enjeu essentiel dans la stratégie de transition des économies.

La lutte contre le réchauffement climatique passe essentiellement par la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) émis par les particuliers comme par les industriels. Une réalité reconnue par les pays participant à la COP26 de novembre 2021[1], lesquels se sont engagés à réduire de 45 % d'ici à 2030 (par rapport à 2010) leurs émissions de GES pour atteindre la neutralité carbone dans les vingt années suivantes.

Internaliser le coût des émissions de gaz à effet de serre

Pour atteindre cet objectif ambitieux au regard de la croissance des rejets encore constatée ces dernières années, des mécanismes d'échanges de quotas carbone ont été mis en place. Une formule qui repose sur les mécanismes du marché, favorisant une approche incitative pour parvenir à une baisse des émissions basée sur l'internalisation des coûts des dommages infligés à la planète.

En attribuant un prix aux émissions de carbone, les marchés de quotas procèdent en effet à un transfert du coût social des dommages futurs du changement climatique vers les sources d'émission. C'est lors du protocole de Kyoto de 1997 qu'ont été imaginés les mécanismes de compensation carbone, gérés dans le cadre des négociations internationales sur le climat à travers la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CNUCC).

Les principes du protocole de Kyoto

Les Etats signataires s'engagent dans ce texte à mettre en œuvre des actions de réduction des émissions sur leur territoire, à utiliser des puits de carbone, ou encore à faire appel aux mécanismes de flexibilité prévus, dont le Mécanisme de Développement Propre (MDP) et la Mise en Œuvre Conjointe (MOC) qui constituent des mécanismes de compensation. Ils permettent en effet aux signataires du protocole de compenser leurs émissions par le financement de projets de réduction d'émissions de GES à l'extérieur de leur frontière.

Le protocole de Kyoto a pris fin en 2021 en ayant permis la naissance d'un marché international du carbone, resté néanmoins modeste. L'article 6 de l'Accord de Paris a pris le relais, avec des objectifs revus à la hausse et l'ambition de permettre aux parties d'atteindre plus facilement leurs Contribution Déterminées Nationales (CDN), en d'autres mots leurs engagements volontaires.

L'approche de l'Accord de Paris et de la COP26

Pour ce faire, l'Accord de Paris adopte une approche coopérative en permettant aux pays d'échanger leurs résultats d'atténuation (l'équivalent des quotas) via un marché de crédits carbone issus de projets de réduction ou de séquestration carbone. Il fut donné mission à la COP26 d'en finaliser le fonctionnement, laquelle s'exécuta en innovant avec la constitution de deux marchés pour les crédits carbone : l'un destiné aux entreprises et aux Etats et l'autre dévolu aux échanges bilatéraux entre pays. Ces marchés obligent les pollueurs à payer des crédits correspondant au dépassement de leurs quotas, lesquels servent ensuite au financement de projets de réduction d'émissions de CO2.

Afin de s'assurer de la réalité des engagements de neutralité carbone des entreprises, seulement 5 à 10 % de leurs émissions pourront être compensés. Par ailleurs l'accord restreint le « double comptage » : si un pays vend un crédit carbone à un autre pays ou à une entreprise, un seul des deux pourra désormais le décompter de ses objectifs d'émissions. Il est par ailleurs à noter que l'Inde, la Chine et le Brésil ont obtenu de pouvoir conserver les crédits générés via le protocole de Kyoto, soit 300 millions de crédits de faible qualité environnementale, leur permettant ainsi d'arriver sur le nouveau marché avec un pactole de départ. Et donc de consentir moins d'efforts pour respecter leurs engagements.

Le modèle du marché carbone européen

Les Etats membres de l'Union européenne se sont inscrits dans cette dynamique en créant le marché réglementé du carbone le plus: l'UE s'est en effet dotée en 2005 d'un mécanisme commun ad hoc régi par la Commission. Appelé Système Communautaire d'Echange de Quotas d'Emissions de l'Union Européenne (SCEQE ou EU ETS en anglais pour European Emissions Trading Scheme), ce marché attribue des quotas d'émissions de CO2 aux entreprises. Un quota représente le droit d'émettre une tonne de CO2.

Chaque année, les Etats européens fixent le nombre de quotas auxquels ont droits les entreprises concernées par le marché du carbone. Si une entreprise émet moins de GES que le quota qui lui a été alloué, elle peut alors revendre la différence sur le marché du carbone, ou bien la conserver. En cas de dépassement, elle doit au contraire acheter des quotas supplémentaires, dont le montant est fixé par le marché, et doit ainsi supporter un surcoût pour son activité. Aujourd'hui, plus de 12 000 installations industrielles des secteurs chimiques, de production d'électricité, de papier, de ciment et d'acier sont concernées, représentant plus de 50 % des émissions européennes.

Pour atteindre l'objectif de réduire de 55 % les émissions de CO2 de l'Union en 2030 (sur la base de 1990), le plafond des émissions autorisées dans le cadre du SCEQE a été réduit. Expurgé d'une partie des quotas en excès, à l'origine du plongeon du cours de la tonne de CO2, le prix de cette dernière a dépassé les 100 euros en février 2022, un niveau qui constitue pour les entreprises une incitation sérieuse.

Un marché européen appelé à évoluer

L'extension du SCEQE au transport maritime à partir de 2024 devrait aussi permettre de soutenir le cours du carbone. Quant aux émissions du transport routier et du bâtiment, elles feront l'objet d'un marché dédié, afin d'éviter la déstabilisation du marché actuel. En outre un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) de l'UE est en préparation.[2]

L'enjeu est de taille : les importations de l'UE représentent en effet 20 % du total de ses émissions de GES. Pour éviter la délocalisation des activités des entreprises européennes pensant échapper à cette taxation, le MACF impose aux importateurs de marchandises provenant de pays tiers d'acheter auprès des autorités nationales de ces derniers des certificats, dont le prix sera calqué sur celui du CO2 au sein du marché européen du carbone. Sa mise en œuvre sera progressive à partir du 1er janvier 2023, avec un paiement effectif à compter de 2026.

De nombreuses initiatives à l'échelle régionale

Ce mécanisme inquiète les pays tiers, qui voient là une façon d'instaurer des taxes douanières cachées. C'est notamment le cas des Etats-Unis qui ont instauré des marchés carbone, mais qui demeurent néanmoins beaucoup moins développés qu'en Europe. La Regional Greenhouse Gas Initiative (RGGI, ou ReGGIe) par exemple est née d'une alliance des États du Nord-Est pour réduire leurs émissions de GES. Entrée en vigueur en janvier 2009, elle concerne aujourd'hui 11 Etats. Parallèlement la Californie a institué en 2014 un système de plafonnement et d'échanges carbone avec le Québec dans le cadre de la Western Climate Initiative, étendue en 2017 à l'Ontario.

D'autres pays suivent le mouvement : la Nouvelle-Zélande, la Chine, la Corée du Sud, le Royaume-Uni depuis sa sortie de l'Union européenne, ont également institué des marchés carbone. Si leur mode de fonctionnement se rapproche du mécanisme européen (et bien que s'inscrivant dans les objectifs de l'article 6 de l'Accord de Paris), ils en diffèrent car reposent sur des bases et ambitions qui leurs sont propres. Ces particularités tiennent avant tout à la définition des volumes de quotas initialement alloués et au champ sectoriel d'application couvert par le marché.

La rigueur des mesures et des contrôles des émissions par des procédures obligatoires et harmonisées de surveillance, de déclaration et de vérification s'avère également variable. Enfin ils peuvent adopter des mesures de flexibilité au cours du temps, grâce à la mise en réserve et l'emprunt, et dans l'espace, grâce aux mécanismes de compensation, eux aussi variables.

L'enjeu de l'efficacité des marchés du carbone

Si le marché fonctionne correctement, le prix du carbone compense les coûts des réductions d'émission consentis par les différents acteurs et permet d'atteindre les objectifs de réduction au coût le plus faible. Un objectif qui réclame des ajustements réguliers avec la redéfinition des volumes de quotas, l'élargissement du champ des entreprises concernées et l'introduction de prix planchers permettant de préserver le caractère incitatif des efforts de réduction des émissions.

Améliorer l'efficience des différents marchés carbone en les interconnectant demeure finalement un enjeu pour accélérer la lutte contre le changement climatique. Grâce à la blockchain par exemple, il serait possible de rendre leurs quotas échangeables d'une place à l'autre, favorisant la convergence des prix.

[1]https://blog.rexel.com/paroles/la-cop26-de-glasgow-face-a-lurgence-climatique/

[2]https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_21_3661

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Rexel SA published this content on 21 April 2022 and is solely responsible for the information contained therein. Distributed by Public, unedited and unaltered, on 21 April 2022 12:44:04 UTC.