La géopolitique trumpienne est-elle positive ou négative pour les entreprises européennes de la défense ? La réponse n'est pas évidente et explique la confusion qui règne encore sur les marchés financiers. Le réarmement est une tendance de fond, mais Donald Trump a laissé flotter la semaine dernière l'hypothèse d'une conférence tripartite USA/Chine/Russie pour convenir d'une réduction de moitié des dépenses militaires de ces superpuissances. Le président américain a, dans le même temps, exhorté les Européens à accroître leurs dépenses dans ce domaine. Ces signaux apparemment contradictoires soulignent malgré tout la nécessité pour l’Europe de gagner en autonomie militaire vis-à-vis de l’US Army. Ce qui implique une remise à niveau militaire majeure, à l'heure où aucune des armées d'Europe occidentale ne dispose des capacités nécessaires pour un conflit dépassant quelques semaines ou pour se projeter de façon autonome en opérations extérieures.

C'est la raison pour laquelle les entreprises de la défense européennes cotées en bourse poursuivent leur ascension au début de l'année 2025. Et cela, en dépit des perspectives d'une paix négociée entre l'Ukraine et la Russie. Le symbole de cet engouement s'appelle Rheinmetall. Le groupe allemand est désormais qualifié de "géant de l'armement" par la presse, alors qu'il était assez loin des stars du secteur il n'y a pas si longtemps. En environ dix ans, l'action a été multipliée par 28, ce qui porte la capitalisation actuelle autour de 37 milliards de dollars… devant celle du français Thales (36 Mds$) et non loin de celle du britannique BAE Systems (46 Mds$). Dans l'intervalle, la géopolitique s'est durcie, une guerre à éclaté aux portes de l'Europe et l'Allemagne s'est rendu compte de la faiblesse de ses troupes. Le carnet de commandes de Rheinmetall a explosé dans des proportions impressionnantes. Et ce n'est pas fini.

"A l'avenir, 20 à 30% de l'augmentation du budget pourraient revenir à Rheinmetall. Cela représente un potentiel de chiffre d'affaires annuel supplémentaire d'environ 10 milliards d'euros. A titre de comparaison, Rheinmetall vise un chiffre d'affaires d'environ 20 milliards d'euros en 2027", souligne le bureau d'études allemand DZ Bank, qui ne craint pas un effondrement du marché, loin de là. "Si une fin rapide du conflit limiterait considérablement, voire réduirait à zéro, les besoins quotidiens de l'Ukraine en matière de réapprovisionnement en technologies de défense, en armes et en munitions... il apparaît clairement que le cessez-le-feu ou la solution de paix potentielle doit être assurée par les troupes européennes."

Un président très confiant

Le CEO de Rheinmetall, Armin Papperger, estime que l’évolution du contexte géopolitique et la pression américaine pourraient transformer radicalement le marché de l’armement sur le continent. "Pour notre entreprise, cela signifie que nous devons nous développer encore plus que prévu. Trump a clairement dit que l’Europe devait prendre ses responsabilités et que les États-Unis n’allaient plus assurer seuls la sécurité européenne", a-t-il souligné lors de la conférence sur la sécurité tenue à Munich le weekend dernier.

L’impact potentiel d’une hausse des dépenses militaires est colossal : une augmentation du budget allemand de la défense à 2,5% ou 3% du PIB pourrait injecter entre 60 et 70 milliards d’euros chaque année dans le secteur. Cette manne financière bénéficierait directement aux entreprises de défense, et Rheinmetall entend bien en tirer profit.

Pénurie critique de munitions en Europe

Armin Papperger en a profité pour tirer la sonnette d’alarme : l’Europe est en sous-capacité pour assurer ses stocks militaires. "En ce qui concerne les munitions, nous avons presque tout donné à l’Ukraine. Poutine le sait, bien sûr, et c’est pourquoi nous devons agir", a-t-il martelé, en rappelant qu'aucun pays européen ne répond actuellement aux normes de l’OTAN exigeant des stocks de combat pour 30 jours d’opérations.

Rheinmetall a entamé de lourds investissements, en particulier pour doubler la capacité de son usine de poudre à Aschau, en Bavière, afin d’atteindre une production de 12 000 à 14 000 tonnes par an d’ici 2026.

La consolidation européenne prend du retard

La recomposition du paysage européen de la défense est jugée nécessaire par les experts, mais elle est compliquée par les bastions historiques et les craintes de pertes de souveraineté industrielle. Le patron de Rheinmetall a écarté en fin de semaine dernière le serpent de mer d'une consolidation avec KNDS (l’autre grand groupe allemand spécialisé dans les équipements militaires terrestres, fruit d’une alliance entre le français Nexter et l'allemand Krauss-Maffei Wegmann). Rheinmetall avait par ailleurs soumis une offre non contraignante pour la division navale TKMS de ThyssenKrupp fin 2024. Toutefois, le processus de vente a été suspendu au profit d’une scission de l’activité. "Cela signifie que toutes les parties intéressées sont exclues", regrette Papperger.

Et cette valorisation ?

Si l'importance grandissante de Rheinmetall dans le paysage européen de la défense est indéniable, son parcours boursier stratosphérique effraie parfois les investisseurs. Pour autant, l'explosion du carnet de commandes et les perspectives de bénéfices futurs aplatissent à grande vitesse les ratios de valorisation. A titre d'exemple, le dossier se paie actuellement plus de 40 fois les résultats moyens attendus en 2024 (qui seront connus le 12 mars). Mais ce multiple chute à 28 fois les résultats attendus en 2025 et à 20 fois ceux prévus en 2026. En se basant sur le profit cash, le dossier est encore plus cher, parce que l'accroissement des capacités de production coûte cher. Mais comme souvent dans le domaine boursier, la narration a une importance considérable et Rheinmetall est au cœur de la réécriture de l'histoire européenne.

12 autres acteurs de la défense en Europe (à retrouver dans la liste thématique Zonebourse sur la défense)

Airbus : leader européen de l'aéronautique et de la défense, Airbus génère environ 20% de son chiffre d'affaires dans ce secteur. Son portefeuille militaire comprend des avions tels que l'A400M, l'A330MRTT, le C295 et l'Eurofighter Typhoon, ainsi que des drones et des systèmes électroniques de défense. Airbus est également partenaire dans des coentreprises stratégiques, notamment MBDA pour les missiles, aux côtés de BAE Systems et Leonardo, et ArianeGroup pour les lanceurs spatiaux, en collaboration avec Safran.

Safran : spécialisé dans les technologies de haute précision, Safran est un acteur clé de l'aéronautique civile et militaire. Le secteur de la défense représente 24% de son chiffre d'affaires total, avec des produits tels que des équipements optroniques, avioniques, de navigation, des drones tactiques et des logiciels critiques. Safran est donc également partenaire d'Airbus dans Ariane.

BAE Systems : Principal groupe de défense britannique, BAE Systems est présent dans tous les domaines militaires, de l'équipement du fantassin aux missiles, en passant par les sous-marins, la cyberdéfense et l'aviation, notamment via le programme Eurofighter Typhoon. Le groupe est de loin le plus exposé du vieux continent aux États-Unis (48% des revenus), devant l'Europe (25%).

Thales : groupe français majeur de l'électronique de défense, Thales tire 45% de ses résultats du secteur militaire. Ses activités couvrent les systèmes d'information et de communication sécurisés, les systèmes de mission de défense, ainsi que les systèmes terrestres et aériens. Thales détient également 35% du capital de Naval Group et compte l'État français (25,7%) et Dassault Aviation (24,6%) parmi ses principaux actionnaires.

MTU Aero Engines : entreprise allemande spécialisée dans la fabrication et la maintenance de moteurs d'avions, MTU Aero Engines est largement exposée à l'aéronautique civile. Cette orientation explique une performance boursière plus modérée par rapport à d'autres acteurs du secteur de la défense.

Dassault Aviation : renommé pour ses avions de chasse, Dassault Aviation est le fabricant du Rafale, qui connaît un succès notable à l'exportation. La défense représente entre 60% et 70% de ses revenus, le reste provenant des jets d'affaires Falcon. Chaque contrat Rafale bénéficie à l'ensemble de l'écosystème industriel français, incluant des partenaires comme Thales et Safran.

Kongsberg Gruppen : Entreprise norvégienne moins connue, Kongsberg est spécialisée dans les systèmes de propulsion maritime, avec 30% de son activité dédiée aux systèmes de contrôle d'armement. Elle fournit notamment des équipements pour le F-35 américain et divers systèmes de défense antiaérienne.

Leonardo : anciennement connue sous le nom de Finmeccanica, Leonardo est un pilier de l'industrie de défense italienne. Le groupe est impliqué dans divers secteurs, notamment les hélicoptères via AgustaWestland, l'aéronautique militaire et les systèmes électroniques de défense. Leonardo réalise 30% de ses revenus aux États-Unis.

Saab : groupe suédois diversifié, Saab est reconnu pour son avion de chasse Gripen, apprécié pour son rapport coût-efficacité. L'entreprise est également réputée pour ses systèmes électroniques, tels que le système de surveillance aéroporté GlobalEye. Saab réalise 42% de son chiffre d'affaires en Suède et 23% dans le reste de l'Europe.

QinetiQ : Ancien laboratoire de défense britannique, QinetiQ maintient des liens étroits avec le ministère de la Défense du Royaume-Uni, d'où proviennent environ les trois quarts de ses revenus. L'entreprise offre également des services d'ingénierie à l'international.

Hensoldt : Spécialisée dans les radars, Hensoldt est une ancienne filiale d'Airbus fortement implantée en Allemagne, où l'État détient 25,1% du capital. Leonardo possède également une participation de 25,1% dans l'entreprise. Hensoldt a récemment connu une forte croissance, reflétant sa sensibilité aux évolutions du secteur de la défense.

Chemring : le groupe britannique est un spécialiste des équipements de contre-mesures électroniques pour les avions militaires et les systèmes d'armement, et des composant électroniques pour la défense. Depuis 2021, son chiffre d'affaires n'a cessé de croître et devrait permettre à l'entreprise de renouer avec des marges à deux chiffres.