Rolls-Royce est une vénérable société britannique créée en 1906 à Manchester et nationalisée en 1971 pour éviter une banqueroute industrielle et financière. Jusqu'en 1973 le groupe produisait des voitures (Rolls-Royce et Bentley) et des moteurs d'avions. C'est là que ça se corse. A la suite de la nationalisation, la branche automobile, Rolls-Royce Motors, devient privée. Elle sera récupérée par Vickers (qui fait maintenant partie de BAE Systems), qui veut la revendre en 1998. Durant le processus, Volkswagen grille la priorité à BMW, prétendant naturel produisant à l'époque les moteurs des Rolls-Royce et des Bentley. MAIS la marque Rolls-Royce elle-même est propriété de Rolls-Royce Plc, la division aéronautique, qui licencie les droits à… BMW.

Une Rolls-Royce
Une Rolls-Royce avec son fameux bouchon de radiateur

En gros, Volkswagen a récupéré l'outil de production et les brevets comme celui du bouchon de radiateur "Spirit of Ectasy" et des grilles de radiateur emblématiques, mais n'a pas le droit de mettre le nom Rolls-Royce sur ses véhicules. BMW de son côté est détenteur de la marque et fournisseur du moteur. Après d'intenses tractations, un compromis est trouvé : Volkswagen récupère Bentley et BMW Rolls-Royce. Les deux constructeurs allemands continuent à commercialiser des gros véhicules de luxe chacun de leur côté. BMW a vendu 5 586 Rolls-Royce en 2021 et Volkswagen 14 659 Bentley.

Un motoriste multisecteurs

Fin de la parenthèse automobile parce que les gros véhicules de luxe, on s'en fiche un peu présentement : à la Bourse de Londres, c'est Rolls-Royce Holdings Plc qui est coté. Le groupe, totalement indépendant depuis une cinquantaine d'années donc de l'activité automobile, opère essentiellement dans l'aéronautique, la défense et l'industrie. Avec des divisions extrêmement sensibles d'un point de vue stratégique, de la motorisation des jets de combat à celle des sous-marins nucléaires de la Royal Navy. Cela n'a pas empêché un parcours boursier tout simplement affreux. Le titre a perdu les neuf-dixièmes de sa valeur en dix ans. Sur les deux dernières années, il offre un piteux -70%, alors que l'indice londonien FTSE 100 a gagné 30%.

Dix ans de déconfiture

Dix ans de Safran / Rolls-Royce / MTU Aero Engines / FTSE 100

Car au-delà des activités militaires, Rolls-Royce est avant tout considéré comme un fournisseur de réacteurs pour l'aviation civile. Le groupe est un acteur important sur ce marché. Mais à la différence d'un Safran, sa gestion a laissé à désirer et l'entreprise est perçue depuis longtemps comme une grosse consommatrice de liquidités. Sur la dernière décennie, elle a subi plusieurs déconvenues.

  • D'abord, des performances financières inférieures aux autres acteurs du secteur, qui l'ont conduite à un triste record de 5 avertissements sur résultats en moins de deux ans entre 2014 et 2016.
  • Ensuite, des déboires matériels sur la génération de moteurs Trent 1000.
  • Mais aussi sa surexposition aux gros porteurs, alors que les carnets de commandes des avionneurs se remplissaient de monocouloirs. L'âge d'or des quadrimoteurs est révolue. Les réacteurs Trent équipant les A380 et les A340 ou le RB211 des B747 sont en perte de vitesse avec la fin de production de ces appareils. Rolls-Royce est en revanche bien positionné sur les A330neo, les A350 ou les B787 et sur plusieurs programmes militaires.
  • Enfin, un bilan fragilisé par deux années de consommation massive de trésorerie, impact de la pandémie sur le secteur aérien commercial oblige.
Un compte de résultats qui a du mal à convaincre
Un compte de résultats qui a du mal à convaincre, après le creux de la vague (Source Zonebourse avec S&P Capital IQ)

Golden Share et restructuration

La restructuration lancée par le management avant l'épisode pandémique a été renforcée par les bouleversements connus par le secteur depuis. D'ambitieux objectifs de réduction des coûts ont été avancés et des cessions ont été réalisées, comme celle d'ITP Aero à Bain Capital. Mais il faudra du temps pour restaurer le lien de confiance avec les investisseurs, échaudés par dix ans de déconvenues. Oh, une dernière chose : si le gouvernement de Sa Majesté n'apparaît pas au capital, il dispose toujours d'une "Golden Share". C'est une action qui lui confère un privilège léonin, en particulier un droit de veto "sur les prises de contrôle inopportunes", pour reprendre le vocabulaire des parlementaires britanniques. Une pilule empoisonnée qui limite grandement les possibilités de voir Rolls-Royce être rachetée, hormis par un compatriote... ce qui n'a pas empêché le dossier d'enregistrer quelques épisodes spéculatifs encore récemment. Il est vrai qu'en cas d'embellie interne (la réorganisation) et externe (le marché aéronautique), il a quelques arguments à faire valoir.

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