L'un des éléments centraux de ce projet, qui prévoit d'obliger les salariés à devenir des travailleurs indépendants, attire toutefois l'attention des autorités polonaises alors que doit entrer en vigueur en janvier une loi facilitant l'adhésion à un syndicat.

La compagnie irlandaise à bas coûts a perdu près d'un tiers de sa valeur en Bourse en un an depuis que des menaces de grèves l'ont poussée à reconnaître les syndicats, une première pour elle. Les investisseurs redoutent que de meilleures conditions de travail ne nuisent à son modèle économique, entre autres.

Tout en saluant les progrès réalisés dans la conclusion d'accords avec les syndicats européens, la direction veut développer rapidement la filiale Ryanair Sun, enregistrée en Pologne, qui emploie des travailleurs indépendants, un statut auquel Ryanair a largement renoncé pour sa compagnie principale sous la pression des syndicats.

Ce modèle prive le personnel des droits habituellement accordés aux salariés, tels que les congés maladie, et empêche de fait toute représentation syndicale, ont déclaré les représentants du personnel et des syndicats.

"D'un côté, Ryanair s'affaire à conclure des accords avec les syndicats pour montrer un nouveau visage socialement responsable", dit Philip von Schöppenthau, secrétaire général de l'European Cockpit Association (ECA), syndicat européen de pilotes de ligne. "Mais dans le même temps, elle oeuvre dans la direction opposée pour créer une entreprise potentiellement sans syndicats, Ryanair Sun."

Ryanair rétorque que de nombreux employés sont satisfaits de leur statut contractuel, qui, selon elle, leur offre une meilleure rémunération. Le transporteur assure que les contrats sont les mêmes dans les compagnies aériennes polonaises et que le développement rapide de Ryanair Sun -qui prévoit de passer de cinq à 20 appareils l'année prochaine- ne sera pas possible si les conditions salariales ne sont pas concurrentielles.

"Ce n'est pas le modèle le plus favorable à la croissance du nombre de syndiqués donc je m'attends à ce que les syndicats le jugent négatif (...) Mais regardez, c'est la manière dont le marché polonais fonctionne", a déclaré à Reuters le directeur commercial, Kenny Jacobs.

MOTEUR DE CROISSANCE

Ryanair Sun n'opère actuellement qu'en Pologne, le premier marché du groupe irlandais en Europe de l'Est, et Ryanair n'a pas dit s'il envisageait de la déployer dans d'autres pays.

Michael O'Leary, le directeur général du groupe, a déclaré en juillet qu'il voulait développer Ryanair Sun et la filiale autrichienne Laudamotion "aussi rapidement que possible". En octobre, il a déclaré que ces deux divisions généreraient une "grande partie" de la croissance du groupe.

Ryanair, qui doit recevoir plus de 200 avions en cinq ans, a la capacité de transformer ces deux divisions en compagnies aériennes européennes de taille moyenne transportant des dizaines de millions de passagers par an.

Si Laudamotion a signé une convention collective avec ses syndicats, la banque HSBC voit dans ces nouvelles entités "une tentative pour contrer les pressions de la syndicalisation". Pour le courtier Goodbody, Ryanair Sun a donné à Ryanair "la possibilité de créer une entreprise à très bas coûts".

Depuis que Ryanair a reconnu l'an dernier les syndicats de pilotes dans le but d'éviter une grève à Noël, le transporteur a signé plusieurs accords avec des syndicats et la faillite de compagnies aériennes plus petites a allégé la pression sur le groupe irlandais.

CAP À L'EST

Ryanair a défini le marché d'Europe centrale et orientale comme l'un de ses principaux moteurs de croissance, partagé entre "essentiellement deux compagnies", elle-même et la hongroise Wizz, qui n'a pas de syndicats, a dit Kenny Jacobs.

Ryanair estime que ses coûts de personnel étaient équivalents à ceux de Wizz avant les mouvements sociaux, soit cinq euros par client, mais qu'ils sont désormais de six euros.

Alors que Ryanair Sun aidera Ryanair à concurrencer Wizz en Europe de l'Est, Wizz sera probablement soumise à la pression des syndicats lorsqu'elle s'implantera en Europe de l'Ouest, a relevé Kenny Jacobs.

L'absence de syndicats signifie également que Ryanair Sun évite les conventions collectives susceptibles de restreindre les transferts de personnels vers d'autres bases.

Le fait de transférer rapidement les avions et les équipages entre les aéroports permet à Ryanair de bénéficier des coûts aéroportuaires les plus bas d'Europe, ce qui représente jusqu'à deux tiers de son avantage en termes de coûts par rapport à certaines de ses concurrentes.

Pour les syndicats, Ryanair se sert de sa filiale pour faire pression sur les salariés lors des négociations dans d'autres pays. Lorsque des pilotes irlandais ont menacé de faire grève en début d'année, Ryanair a annoncé qu'elle réduisait ses capacités en Irlande et proposait des emplois au personnel de Ryanair Sun.

UN MODÈLE MENACÉ ?

L'avenir de Ryanair Sun et de son modèle d'employés indépendants dépendra en partie de la réaction des autorités et de son personnel dans les prochains mois.

Ryanair a annoncé en septembre la fermeture de ses bases polonaises et a proposé des postes chez Ryanair Sun. Dans une note datée du 1er octobre adressée à tous les pilotes en Pologne, le responsable des opérations dans le pays, Peter Bellew, indiquait que les pilotes ne signant pas de nouveaux contrats ne se verraient pas offrir de poste chez Ryanair Sun.

Les personnels de cabine avaient le choix entre ces nouveaux contrats ou un autre emploi au Royaume-Uni ou en Allemagne, mais aux mêmes conditions qu'en Pologne. Une fausse alternative selon eux, au vu du coût de la vie dans ces deux pays.

En quelques jours, 300 membres du personnel de cabine ont adhéré à un nouveau syndicat, le CWR, que Ryanair n'a pas reconnu. Les pilotes n'ont pas encore tenté de se syndiquer.

Le 1er janvier entrera en vigueur en Pologne une loi qui facilitera l'adhésion des salariés à un syndicat.

Une source syndicale a déclaré à Reuters que cette loi permettrait d'envisager des grèves. Deux autres ont ajouté que dans la foulée, le premier syndicat de pilotes pourrait voir le jour.

(Catherine Mallebay-Vacqueur pour le service français, édité par Bertrand Boucey)

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