Pas de surprise dans ses excellents résultats à neuf mois publiés plus tôt cette semaine : le chiffre d’affaires augmente de 25% par rapport à l’an passé à la même époque, le nombre de marchands utilisateurs de la plate-forme de 27%, et le profit d’exploitation de 132%. Ce dernier élément est important — pour une raison expliquée plus bas dans cet article — et montre que le management entend envoyer un signal fort aux investisseurs.
Intrinsèquement, Shopify est un modèle d’affaires SaaS parfait : ultra-lucratif et résilient, avec une clientèle captive, une pléthore de nouvelles fonctionnalités à fortes marges qui viennent progressivement se greffer à sa plate-forme, et un potentiel d’expansion toujours gigantesque au fur et à mesure que progresse la pénétration du e-commerce.
Les qualités de son service font par ailleurs l’unanimité. En témoigne ses parts de marché en progression constante face à ses concurrents tels que WooCommerce, Wix ou Squarespace ; son taux de croissance annuel de presque 60% sur la dernière décennie ; et ses récents succès dans la conquête de grands comptes — Sephora, Lindt, Nestlé, Red Bull ou Tesla, entre autres — qui étend son périmètre au-delà du segment du marché initial des petits marchands indépendants.
Reste qu’un investissement dans Shopify s’apparente avant tout à une profession de soi, car les choses se corsent dès que l’on rentre dans le détail et la lisibilité des comptes. D’un côté, le résultat comptable est régulièrement impacté par quantité d’éléments exceptionnels. De l’autre, les dépenses d’exploitation demeurent ancrées à des niveaux anormalement élevés, car Shopify continue d’investir de manière agressive dans le développement de son « écosystème » de services.
Le groupe pourrait faire le choix de mettre le holà sur ces investissements, et ainsi doper ses marges de manière quasi immédiate. Comme écrit plus haut, c’est selon toute vraisemblance ce qu’il a partiellement fait ce trimestre — ceci afin de mettre en évidence aux yeux des analystes ou de qui en doutait la qualité intrinsèque de son modèle.
En renonçant à s’attarder sur ces détails, ou à la tentation d’ajuster à l’envi des modèles financiers trop complexes, tout au plus peut-on se borner à relever que Shopify est présentement valorisé à x93 son profit d’exploitation avant investissements — ou EBITDA — attendu cette année, et ainsi conclure que les attentes des investisseurs en matière de croissance demeurent ici très ambitieuses.
Pour soutenir de tels niveaux de valorisation, la plate-forme doit impérativement maintenir son rythme d’expansion actuel. Cela passera par la conquête de nouveaux clients et de parts de marché supplémentaires, car les frais prélevés sur ses différents services — le fameux « take rate » — est déjà élevé ; on pourrait encore grappiller quelques points de marge de ce côté-là, mais ce serait au risque d’affronter une fronde — voire un exode — des utilisateurs.
Comme toutes les entreprises nord-américaines du secteur de la technologie, Shopify mène une politique de rémunérations en stock-options et attributions d’actions gratuites plutôt généreuse. On note toutefois que celle-ci est moins exubérante que la moyenne, et que le groupe ne procède pas à des rachats d’actions pour compenser l’impact de la dilution engendrée par l’émission de nouveaux titres. Ce n'est pas assez dit, mais cette pratique trop courante, contre laquelle Zonebourse s’est plusieurs fois insurgée par le passé, s’apparente à une double peine pour les investisseurs.