Bien sûr, trois éléments plaident en faveur de Snowflake : un taux de croissance annualisé supérieur à 100% depuis son introduction en bourse ; un investissement — surprenant — de Berkshire Hathaway dès l’IPO, assurément entrepris sous la responsabilité d’un des deux lieutenants de Warren Buffett, Todd Combs ou Ted Weschler ; enfin, un produit de data analytics qui, soulignons-le, rencontre un inestimable succès commercial auprès des clients. 

Via le cloud, la solution de Snowflake permet d’agréger, de transférer, de mutualiser et d’ordonner d’énormes quantités de données sur une multitude de plates-formes différentes sans recourir à des API compliquées, ni mettre en place des protocoles d’échange forcément vulnérables. La valeur ajoutée est évidente : la solution est plus sûre, plus fluide et plus économique.

Le management communiquait encore récemment sur des projections très ambitieuses : $10 milliards de chiffre d’affaires d’ici 2029, soit un taux de croissance annualisé de 30 à 35%, avec une marge de profit cash — "free cash-flow" — de 15%, soit $1.5 milliard de profit virtuellement redistribuable aux actionnaires à échéance. Etait également annoncée l'an passé la volonté d'atteindre l'équilibre en 2023.

Les résultats financiers, publiés le 1er mars dernier, vont-ils en ce sens ? Le chiffre d'affaires croît de 70%, soit une décélération marquée par rapport aux croissances à trois chiffres des années précédentes, quand bien même la performance reste excellente. 

C'est une autre décélération qu'anticipe le management pour l'exercice fiscal qui s'ouvre, avec un taux de croissance annuel escompté d'environ 40%. Seuil en-deçà duquel il s'agira de ne pas trop descendre s'il souhaite tenir ses très ambitieuses projections de 2029.

Le sujet tendancieux reste bien sûr le pseudo "free cash-flow" que génèrerait Snowflake. Le CEO Frank Slootman vante une marge nette — "ajustée", bien entendu — de 25%, et le communiqué de presse de la compagnie mentionne explicitement un profit "non-GAAP" de $497 millions.

Tout ceci serait formidable si effectivement l'on omettait de mentionner les rémunérations en stock-options qui atteignent la bagatelle de $862 millions tout de même — neutralisées dans les tableaux de flux de trésorerie puisqu'elles représentent une dépense "non-cash".

Stock-options qu'on ne peut pourtant ignorer dans la dynamique générale puisque, juste à eux deux, Frank Slootman et le CFO Michael Scarpelli en ont présentement 80 millions en l'air, soit tout de même l'équivalent d'un quart des actions en circulation, avec un prix d'exercice intérieur à $10, soit pour l'un comme pour l'autre l'assurance de faire fortune. 

Slootman et Scarpelli, d'ailleurs, ont tous deux allégé leurs participations au fil de l'année écoulée, le premier de deux millions de titres, le second d'un million. Idem pour les deux actionnaires de référence Altimeter et ICONIQ, tous deux à la vente en 2022. 

A moins qu'il n'ait d'autres desseins moins avouables, le conseil d'administration considère manifestement que Snowflake est sous-valorisé par le marché : il vient ainsi d'autoriser un programme de rachat d'actions de $2 milliards, soit la moitié de la trésorerie — il est vrai — en excès. 

Faisons fi des stock-options, et considérons qu'elles n'existent plus. Le management prévoit une croissance des ventes de 40% sur l'exercice qui vient de s'ouvrir : avec une marge nette "ajustée" de 25%, toutes choses égales par ailleurs, on anticipe ainsi un profit cash de $723 millions sur l'année fiscale 2024.

Ceci pour un cours actuel de $140 par action, soit $40 milliards de valeur d'entreprise, soit un multiple "forward" de x55 les profits "ajustés" avant rémunérations en stock-options "non-cash"... 

Soit sans doute beaucoup trop de guillemets au goût des investisseurs instinctivement sceptiques et conservateurs...