L’entreprise de services numériques SII, fondée il y a 40 ans par Bernard Huvé, son principal actionnaire, vient de publier des résultats annuels très résistants malgré un exercice 100% impacté par la crise sanitaire. Alors que le 1er trimestre qui s’achève fin juin devrait profiter d’un effet de base très favorable, Eric Matteucci présente les perspectives annuelles de cette ESN singulière.

 

Eric Matteucci, pouvez-vous rapidement nous rappeler ce qui vous différencie parmi les grands acteurs français du secteur ?

"Les missions que nous confions à nos près de 9000 ingénieurs s’équilibrent entre le Conseil en Technologies (informatique, électronique et télécom) où nous sommes, par exemple, face à ce que l’on appelle classiquement des sociétés de R&D externalisée comme Alten ou Akka, et les Services Numériques (informatique technique et réseaux) où nous trouvons par exemple Sopra Steria ou Devoteam. Ce positionnement hybride nous permet d’accompagner les grands groupes de tous les secteurs économiques, dans l’intégration des nouvelles technologies, procédés et méthodes de management de l’innovation."

Source : présentation des résultats semestriels du Groupe SII

Au-delà de ce positionnement hybride, y a-t-il un ADN SII ?

"Je crois sincèrement que nous avons une culture d’entreprise singulière, qui privilégie la proximité avec le terrain, les cycles de décision très courts et l’autonomie des collaborateurs, à tous les niveaux de l’entreprise. C’est probablement une des raisons qui nous a propulsé en quelques années n°1 du classement Great Place to Work dans la catégorie entreprises de plus de 2500 salariés. Car sur le plan purement technologique, il y a peu de différence entre les acteurs de premier plan. Chez le client, nous nous montrons particulièrement engagés, avec un souci du service et du savoir être très développé. Nous avons par exemple été les premiers à être certifiés ISO9001 et CMMI. Nous avons l’image d’un prestataire sérieux, fiable, empreint d’une certaine humilité."

Source : présentation des résultats semestriels du Groupe SII

Cela explique-t-il en partie la capacité de rebond dont le Groupe a fait preuve au second semestre de l’exercice qui vient de s’achever ?

"Certainement. Historiquement concentrée sur l’aéro-défense et la France, notre activité s’est fortement diversifiée et internationalisée ces dernières années grâce à la mobilité, la transversalité et l’entreprenariat que nous encourageons en interne. Ces petites graines semées nous ont permis de faire preuve d’une grande agilité au cœur de la crise, de retenir et d’accompagner au plus près nos collaborateurs majoritairement en télétravail pendant la crise sanitaire. Notre organisation venait d’évoluer avant la crise afin de favoriser les synergies entre nos différentes implantations, et notre Comité Exécutif Groupe avait été resserré autour de 7 personnes. Cela avait certes un peu contrarié le principe d’autonomie auquel nous tenons, mais cela a également permis de mieux répondre aux demandes de certains très grands comptes, en capitalisant sur l’ensemble des savoir-faire du Groupe. Confiant dans les besoins de nos clients malgré la crise, le Groupe a repris une dynamique de conquête commerciale puis de recrutement dès le printemps 2020 à l’international, et dès l’été en France. La reprise de la croissance a pu être mesurée sur ces deux zones avec un décalage d’environ 6 mois, et à fin mars 2021 nous avons clôturé l’exercice avec un effectif Groupe de 8789 en hausse de 2% par rapport à mars 2020, pour un taux d’activité revenu à son niveau d’avant crise."

Extrait des comptes de résultats de SII ( Source : présentation des résultats semestriels du Groupe)

Quelles sont vos perspectives 2020/21 ?

"Au regard de la très bonne dynamique de recrutement et de la reprise observée dans tous les secteurs, à l’exception de l’automobile, le groupe SII ambitionne pour l’exercice à venir un chiffre d’affaires en croissance organique de 10%. Les dynamiques sectorielles sont marquées par la lente reprise de l’aéronautique, actuellement à 50% de son activité d’avant crise, mais des perspectives certaines de remontée graduelle dans les prochains mois et années compte tenu de la reprise des livraisons d’avions et des besoins de conception de l’avion du futur. Les secteurs Telecom et Energie qui ont connu respectivement 10% et 7,7% de croissance malgré la crise en 2019/20 resteront très dynamiques. Géographiquement parlant, la France, qui concentre la moitié de l’activité et a décru en 2019/20, repart fort, avec un retour des problématiques salaires/prix dès les prochains mois. La Pologne, notre second pays, continue de croitre très fortement (+20% sur l’exercice) comme c’est le cas depuis 10 ans, avec des marges toujours élevées. C’est en Allemagne que nous avons le plus de difficultés avec une présence dans l’automobile et l’aviation qui ont plombé l’activité, à -27% sur l’année, et un taux d’activité à seulement 68% à fin mars 2021. Cette situation délicate dans l’ingénierie en Allemagne reporte notre retour à une profitabilité positive dans le pays, malgré la mise à l’équilibre de l’activité pièces détachées sur mesure.  Au global, nous attendons une hausse de la marge opérationnelle cette année, malgré les tensions sur les salaires à l’embauche et l’agressivité prix de la part de certains concurrents caractéristiques des phases de redémarrage."

Avec plus d’un tiers du CA 2021/22 et des marges supérieures, votre filiale polonaise prend de plus en plus de poids dans le Groupe. Quand et comment comptez-vous en devenir le seul actionnaire ?

"L’actionnaire minoritaire à hauteur de 30% de cette filiale que nous détenons à 70% détient un droit de vendre à SII ses actions à un prix exprimé en multiple de résultat. Manager clé de cette filiale, il reste totalement engagé dans la poursuite du fort développement de ce pays, pour notre grand bonheur, quand bien même le prix du put se valorise d’années en années."

La baisse du taux d’IS du Groupe a été favorable à votre marge nette. Est-ce un phénomène durable ?

"En partie seulement car cela tient à la localisation géographique de nos profits cette année. Le résultat en France, où le taux d’imposition est plus élevé, a chuté malgré les 8M€ d’aides d’Etat liées à l’activité partielle pour ne représenter que 12% du ROC Groupe. Nous attendons un net redressement des marges en France, à l’image de ce que nous avons observé entre le premier et le second semestre où le ROC est passé de -2,1 à +6,6M€. Par ailleurs, nous avons bénéficié sur les 3 premiers mois de l’année de la division par deux de la taxe CVAE en France, avec un impact annuel attendu de l’ordre de 2,3M€."

Votre dernière croissance externe remonte à 2017. SII génère beaucoup de cash et affiche à fin mars 88 M€ de trésorerie nette hors dettes de location IFRS 16. Avez-vous des cibles en vue ?

"Croître est indispensable compte tenu de la concentration des fournisseurs de la part des clients grands comptes. Notre organisation, renforcée depuis 2 ans, et notre capacité de recrutement, confortée par la visibilité accrue de la marque SII ces derniers mois, sont les moyens les plus naturels pour y parvenir. Mais nous restons à l’écoute des sociétés à vendre. Nous avons la capacité de renouveler une acquisition d’une taille de l’ordre de 50 M€ de CA, soit en France sur des secteurs où zones géographiques où nous sommes peu présents, soit à l’international dans des pays où nous pourrions nous renforcer, comme par exemple les Pays-Bas, la Suède, ou le Canada. Cela afin d’accompagner tout client qui le souhaiterait dans un nouveau pays. Le principal frein actuel aux acquisitions sont les niveaux de valorisations espérés par les vendeurs dans un contexte où les fonds font monter les enchères."

Source : présentation des résultats semestriels du Groupe SII

L'Auteur est actionnaire à titre personnel