Solutions 30 – Analyse de nos décisions

Suite au communiqué de Solutions 30 publié après Bourse le 21 mai 2021, nous avons décidé de céder les titres encore détenus dans cette société.

Analyser et faire l’autopsie de mauvaises décisions de gestion n’est pas l’exercice le plus agréable mais probablement le plus utile. C’est ce qui nous permet de continuer à affiner et à améliorer notre processus de gestion afin de réduire autant que possible les occurrences de ces mauvaises décisions dans le futur. Nous souhaitons, au travers de ces quelques paragraphes, vous partager et expliquer les différentes décisions qui ont été prises. Et les leçons que nous tirons de cette histoire.

Pourquoi avoir acheté du Solutions 30 ?

L’entrée de Solutions 30 dans nos portefeuilles date de fin mars 2020, à un prix de 6.7 euros par action. La société était parfaitement positionnée pour notre thème de la Digitalisation, tendance séculaire qui allait, selon nous, être accélérée par l’épidémie. 

Solutions 30 validait également les 7 points de notre analyse fondamentale :

  • Business Model clair et compréhensible : la société dispose d’une flotte de près de 14 000 techniciens à travers l’Europe capable d’effectuer toute tâche technique (installation ou maintenance) requise par un client (opérateur télécom, énergéticien…). De l’installation d’un compteur intelligent, au raccordement à la fibre, en passant par la mise en place de bornes de recharge pour voiture électriques.
  • Un avantage compétitif durable : aucune autre société ne peut se targuer de disposer d’une flotte de techniciens ne serait-ce que cinq fois plus petite que celle de Solutions 30. C’est un avantage énorme pour tout client qui souhaite bénéficier de la force de frappe de Solutions 30. Prenons l’exemple d’une société de télécommunication allemande qui souhaite installer la fibre à travers le pays. Au lieu de devoir faire appel à un ou deux prestataires pour chaque Lander, il lui suffit de passer par Solutions 30 pour couvrir immédiatement tout le pays. Les tensions sur la main d’œuvre rendent très illusoire de pouvoir répliquer une telle force de frappe pour un nouvel entrant.
  • Un potentiel de croissance et d’amélioration de marge à long terme : la société a un historique de croissance absolument remarquable. Elle bénéficie de deux tendances longues : l’externalisation croissante des services d’installation / maintenance et la digitalisation de l’économie. Elle a, en plus, historiquement multiplié les acquisitions de petits acteurs locaux, trop petits pour être rentables, pour densifier son réseau. Et l’amélioration des marges vient mécaniquement du degré d’utilisation de ses ressources. Plus vous avez de missions dans un périmètre réduit à donner à vos techniciens, moins ils passent de temps en transit ou en attente de mission et meilleure est votre rentabilité. Dans certains pays comme la France, le taux de marge est proche de 15%. Un technicien peut installer un compteur Linky le matin et réparer une connexion défectueuse à la fibre l’après-midi. A mesure où Solutions 30 grandit dans les autres pays, comme en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni ou en Espagne, le taux de marge s’améliore.
  • Un bilan solide pour financer sa croissance : la société est en situation de trésorerie nette et a une activité fortement génératrice de trésorerie, avec près de 100 millions de trésorerie opérationnelle générée par an permettant de financer le besoin en fonds de roulement et les petites acquisitions.
  • Un Management aux intérêts alignés : nous avons eu l’occasion de rencontrer à de nombreuses reprises le fondateur de la société, Gianbeppi Fortis. Et nous le reconnaissons en toute humilité, nous n’avons jamais eu d’éléments pouvant nous faire douter de sa probité. Nous voyions en lui un homme très travailleur, qui continuait d’être présent sur tous les fronts opérationnels, malgré l’augmentation de la taille de sa société et de son patrimoine. Il avait fait beaucoup de sacrifices au début de ce projet, attendant plusieurs années avant de se verser une quelconque rémunération. Certes il avait réalisé une partie de son patrimoine, en cédant des titres au cours des dernières années, mais rien d’exagéré selon nous. Avec l’effet des options qu’il obtenait grâce aux dépassements réguliers de ses objectifs, et malgré la vente de certains de ses titres, sa participation continuait d’augmenter au sein du groupe. Et il détient plus de 16% des actions, ce qui garantissait selon nous, un alignement total des intérêts avec les nôtres.
  • Des risques sous contrôle : nous n’avions pas identifié de risque opérationnel majeur au moment de l’investissement, mis à part un « Key man risk » liée à la multidisciplinarité de Gianbeppi Fortis. A noter que nous utilisons dans notre modélisation différents éléments pour discerner des anomalies comptables. Parmi les éléments que nous surveillons : la corrélation entre la croissance des flux de trésorerie, des éléments bilanciels et du résultat net. Nous surveillons également le score Beneish qui permet d’établir le risque de manipulation des états financiers. Ce risque était faible pour Solutions 30. Le seul élément négatif était le recours systématique au factoring.
  • Une valorisation qui nous semblait attractive : notre modélisation, basée sur des hypothèses très prudentes, avec un fort recul des ventes en 2020, faisait ressortir une fourchette de valorisation comprise entre 14 et 16 euros, ce qui laissait un potentiel de hausse supérieur à 100%.

Nous avons donc initié une position.

Pourquoi ne pas avoir tout vendu en décembre ?  

Le titre a, sur les 9 mois qui ont suivi, fortement progressé. Le rebond des ventes a été très fort dès le mois d’avril et finalement tout indiquait que l’année 2020 allait être de nouveau un exercice en croissance, malgré la pandémie. Nos modèles de valorisation mis à jour avec ces données faisaient état d’une remontée de la valeur intrinsèque à 18-20 euros. Nous avons donc pris progressivement nos bénéfices à mesure que le cours atteignait ces niveaux-là.

En décembre 2020, malgré le doublement du titre, suite à nos allègements, le poids de la ligne était autour de 2.5% du portefeuille. C’est à ce moment là qu’un rapport anonyme est sorti.  Ce rapport d’une quarantaine de pages mélangeait de grossières approximations sur l’activité de la société et des accusations très ciblées faisant état de liens avec le crime organisé. Muddy Waters, à l’époque en forte perte sur sa vente à découvert, s’est immédiatement emparé de ce rapport pour questionner la société. Cette dernière a nié en bloc et s’est alors engagée à réaliser un audit supplémentaire pour clarifier les points de questionnement.

Nous étions dans une situation compliquée : d’un côté les accusations, si avérées, étaient gravissimes. Elles portaient sur des éléments qui nous étaient, malheureusement impossible à vérifier avec nos ressources de société de gestion. D’un autre côté, le choix fait par la société d’embaucher une société d’audit (Deloitte) et un expert indépendant (Didier Kling) pour clarifier les points d’attaque nous semblait rassurant. Par ailleurs, il serait erroné de considérer que systématiquement les vendeurs à découvert visaient juste dans leurs attaques. D’autant plus que dans ce cas précis, sur les attaques vérifiables, un certain nombre d’erreurs évidentes s’étaient glissées dans le rapport. Enfin, suite à la chute du titre, notre approche fondamentale faisait état d’une très nette sous-valorisation de la société, même en augmentant notre prime de risque.

Nous avons donc choisi à ce moment là de diviser la ligne en deux (à moins de 1% du portefeuille) en attendant d’avoir des éléments plus clairs. 

Pourquoi vendre maintenant ?

Le 1er avril 2021, après plus de 3 000 heures d’audit, Deloitte et Didier Kling ont affirmé n’avoir identifié aucun élément corroborant les accusations de blanchiment d’argent, fraude ou détournement, ni aucun lien avec une quelconque organisation criminelle.

Quelques zones d’ombres subsistaient toutefois.

  • L’absence de six mois d’e-mail datant de début 2019 notamment. Après avoir interrogé le Management là-dessus, nous notions toutefois que cela s’expliquait par une surcharge de serveur et des analystes ont par ailleurs confirmé avoir eu des difficultés à échanger par email avec Monsieur Fortis à cette période là. Par ailleurs, aucune des accusations de Muddy Waters, ni aucune acquisition n’a eu lieu au cours de cette période. Donc nous ne croyons pas à la thèse de suppression de preuve.
  • Deux autres points restaient à clarifier, portant notamment sur un écart d’acquisition.

Nous restions donc prudents et attendions les comptes audités.

Deux éléments des dernières semaines, en revanche, nous ont poussé à changer notre stratégie et finir de céder notre ligne, malgré la forte baisse du titre à l’ouverture le 24 mai.

Le premier est l’absence de certification des comptes par l’entreprise Ernst & Young :

  • La valeur intrinsèque d’une société est la somme actualisée des flux de trésorerie qu’elle génèrera dans le futur. Pour estimer ces flux de trésorerie, et afin de projeter les flux futurs, nous n’avons pas d’autres choix que de nous appuyer sur des comptes historiques certifiés par des auditeurs indépendants. A partir du moment où les auditeurs en charge de la validation des comptes ne peuvent pas les certifier, nous ne pouvons raisonnablement pas nous appuyer sur les données publiées par l’entreprise. Il est donc mécaniquement impossible de donner une valeur à une société. Et cela viendrait en opposition totale à tout notre processus de gestion que d’être investi dans une société sans avoir une idée de ce qu’elle vaut réellement.
  • Nous notons toutefois que les auditeurs n’ont rien trouvé en l’état d’éléments incriminant, sans quoi ils auraient dû le publier. Mais ils estiment n’avoir pas eu accès à tous les éléments nécessaires pour statuer de façon ferme et définitive sur la véracité des comptes. Il est difficile d’écarter l’hypothèse selon laquelle l’auditeur aurait fait preuve d’un « excès de zèle » suite au scandale Wirecard du début d’année. La preuve étant que ce même auditeur avait validé la totalité des comptes l’an dernier sans réserve particulière, contrairement à cette année, malgré la forte augmentation des heures d’audit. Mais vu la situation, difficile de le blâmer. Et nous pensons même que ce supplément de zèle devrait être systématique pour chaque société cotée afin d’assurer la validité des comptes et éviter tout risque de fraude.

Le deuxième a été le comportement de la société pendant cette crise.

  • Une nouvelle fois, difficile de démêler le vrai du faux, mais dans tous les cas, au vu de la situation, Solutions 30 aurait dû se montrer irréprochable et fournir, sans délai, tout document demandé par l’auditeur.
  • Prendre en otage les actionnaires en suspendant le cours, sans explication, pendant deux semaines est absolument intolérable.
  • Ne pas organiser de conférence téléphonique auprès des investisseurs pour répondre aux nombreuses questions et se contenter de se positionner en victime en agitant le chiffon de l’OPA est également un manque de transparence difficilement supportable. Pourquoi ne pas jouer carte sur table en expliquant quels éléments n’ont pas pu être obtenus par l’auditeur et pourquoi ?  

Quel impact sur le portefeuille ?

Deux fonds chez Erasmus Gestion étaient actionnaires de Solutions 30, Erasmus Mid Cap Euro et Erasmus Small Cap Euro.

La performance d’Erasmus Mid Cap Euro lors de la séance du lundi 24 mai 2021 a été de -0.23% contre un indice en hausse de 0.21%, portant, pour la part R, la performance depuis le début de l’année à 10.57%, contre un indice à 10.70%.

La performance d’Erasmus Small Cap Euro a été de -0.43% contre un indice en hausse de 0.24%, portant, pour la part R, la performance depuis le début de l’année à 16.78%, contre un indice à 16.20%.

Deux éléments nous ont permis de limiter l’impact :

  • La division par deux de notre exposition quand les premiers éléments sont sortis en décembre
  • Notre processus de gestion, limitant le poids de chaque ligne, bien conscients des risques idiosyncratiques (liés à une entreprise en particulier) qui dépassent notre contrôle doivent être limités par un certain degré de diversification (40 à 50 lignes dans le fonds Erasmus Small Cap, 30 à 40 lignes dans le fonds Erasmus Mid Cap euro)

Quelles leçons en tirer ?

  • Humilité :
    • Cette histoire est un nouveau rappel d’une vérité structurelle : le marché financier est un système complexe et la première vertu dont doit disposer un investisseur est l’humilité. L’humilité d’accepter quand une décision prise n’a pas été la bonne et d’être capable de reconnaître que nous n’avons pas tous les éléments à disposition au moment de prendre notre décision d’investissement.
  • Intransigeance :
    • La principale erreur que nous avons commise est d’avoir manqué d’intransigeance dans notre gestion de ce cas d’investissement. Peut-être le fait de connaître la société et son fondateur depuis plusieurs années a eu un impact.

Mais c’est surtout notre très forte conviction sur la qualité du positionnement de la société et son potentiel de croissance à moyen long terme qui nous ont poussé à vouloir attendre des preuves de malfaisance. Et même si ces preuves ne sont toujours pas présentes, l’accumulation d’éléments douteux devient trop importante et était déjà trop importante en décembre.

  • ISR: nous sommes engagés dans le processus de labellisation de nos fonds, que nous espérons obtenir au troisième trimestre. Et dans ce cadre, un des éléments à prendre en compte est la notion de Controverse. Dorénavant, chaque controverse qui a le potentiel de remettre en question la stratégie Environnementale, le positionnement Social ou la probité de la Gouvernance (comme c’est le cas pour Solutions 30) d’une société en portefeuille aura pour immédiate conséquence la cession des titres détenus, sans laisser le bénéfice du doute à l’entreprise. Dans ce cadre, et désormais de façon systématique, nous n’investirons plus dans des sociétés cotées qui changent leur pays de résidence pour des raisons fiscales.   
  • Réactivité
    • Une société cotée sur Euronext a quatre mois pour déposer ses comptes audités. Etant donnée la situation, nous aurions dû finir de vendre notre position dès le dépassement de la date limite du 30 avril.

Conclusion :

Nous ne pensons pas que Solutions 30 est un nouveau Wirecard, comme nous avons pu le lire à plusieurs endroits ces derniers jours. La trésorerie de 159 millions d’euros présente sur les comptes au 31/12/2020 a été confirmée. Et l’activité du groupe est claire et lisible. Qui n’a jamais eu chez lui, même parfois sans le savoir, un technicien Solutions 30 pour installer un compteur Linky, Gazpar ou pour effectuer le raccordement à la fibre. Les besoins sont croissants avec l’arrivée de la 5G, des voitures électriques, ou des objets connectés. Et ces activités d’installation et de maintenance ne font pas partie du savoir-faire cœur des clients de Solutions 30 qui externalisent donc de plus en plus ces missions. Nous sommes même convaincus que malgré tout ce qui est entrain de se passer actuellement, les clients seront incapables de se passer de Solutions 30 à court terme. En revanche, il est légitime de se demander quel sera l’impact de ces controverses sur l’activité à moyen ou long terme.

Nous pensons que Solutions 30 est l’archétype de la société qui a grossi trop rapidement, sans se structurer suffisamment, avec des investissements trop limités dans les fonctions support et nous ne pouvons pas du tout écarter l’hypothèse que certains raccourcis aient été pris à un moment ou un autre.

Le manque de transparence dans la réaction de Solutions 30 et l’absence de validation des comptes nous poussent à céder le reliquat de nos actions. A noter que nous n’écartons pas l’hypothèse dans les prochaines semaines ou prochains mois d’un rachat de la société par un acteur industriel ou financier qui pourrait pleinement bénéficier du réseau de technicien et du savoir-faire de la société. Le cas échéant, le prix de vente serait probablement supérieur au niveau actuel. Mais ce scénario est devenu trop spéculatif et surtout, la société ne répond plus favorablement à nos critères d’investissement, tant fondamentaux qu’extra-financiers. Nous observerons donc la suite de cette « saga » à distance. En gardant bien en mémoire les axes d’amélioration dans notre processus de gestion que nous avons pu tirer de cet accident.

Aymeric Lang, Erasmus Gestion