Avec un marché du café cinq fois inférieur à celui des États-Unis malgré une population quatre fois plus importante, la Chine affiche aujourd’hui la plus forte croissance mondiale sur ce marché. Tandis que les marchés américain et européen ont atteint une forme de maturité, le potentiel chinois reste immense.

Starbucks a connu une vraie success story en Chine. Réussir à imposer une marque premium dans un pays peu friand de café relevait de l’exploit. L’entreprise a façonné les codes de consommation du café en Chine : des espaces spacieux, confortables, un positionnement haut de gamme, et une intégration réussie de saveurs locales. La Chine est ainsi rapidement devenue son deuxième marché. Mais entre 2021 et 2024, ses revenus y ont chuté de 18%, tandis qu’ils progressaient de 14,3% aux États-Unis.

L’irrésistible ascension de Luckin Coffee

Arrivé en 2017, Luckin Coffee a pris le contre-pied de Starbucks : magasins compacts en hyper-centre, modèle centré sur la livraison, app mobile ultra-efficace et prix cassés. Là où Starbucks vend son café autour de 4 euros, Luckin propose des boissons entre 1,20 et 1,60 euro. Une stratégie qui a démocratisé la consommation de café en Chine et permis à l’enseigne d’atteindre 600 millions de dollars de chiffre d’affaires en trois ans.

Mais en 2020, l’entreprise est secouée par un scandale : 310 millions de dollars de revenus étaient fictifs. Un scandale financier émerge et la capitalisation s’effondre de 12 à 1 milliard et est radiée du NASDAQ. Depuis, Luckin a rebondi. Elle s’échange désormais au marché de gré à gré et pèse à nouveau 10 milliards de dollars.

Devenue rentable en 2021, elle multiplie plus rapidement que personne les ouvertures de magasins et dépasse Starbucks en chiffre d’affaires en 2023. Luckin a généré 24,86 milliards de yuans (3,45 milliards de dollars), contre 3,16 milliards pour Starbucks.

Les revenus de Starbucks sont désormais à leur plus bas en Chine depuis quatre ans, tandis que Luckin a multiplié son chiffre d’affaires et son résultat net par 3,7 sur la même période.

Mais les deux enseignes ne jouent pas sur le même terrain : Starbucks reste seule sur le segment premium, de moins en moins attractif dans un contexte de pouvoir d’achat en baisse. Luckin, lui, règne de par sa taille sur un marché ultra-concurrentiel et fragmenté.

Starbucks tente des choses, le responsable historique du marché chinois a été remplacé en janvier, des ajustements de prix ont été annoncés en mai et en juin, le PDG Brian Nicol a confirmé qu’il cherchait des partenaires stratégiques pour aider à redresser l’entreprise en Chine. Une cession partielle des activités chinoises qui marque un aveu face à un marché de plus en plus complexe.

La guerre des prix fait rage

La généralisation des services de livraison a intensifié la guerre des prix avec l'arrivée de géants comme JD.com ou Alibaba. La perte de pouvoir d’achat sur le marché chinois est également un facteur qui a alimenté une bataille de promotions et de coupons. 

Un café peut désormais se vendre dès 2,9 yuans (0,35 euro). Luckin affiche un prix catalogue à 29 yuans (3,5 euros), proche de Starbucks (33 yuans), mais le vend souvent à 9,9 yuans avec des coupons largement diffusés, selon Reuters. D’autres concurrents vont plus loin : Cotti propose des Americanos à 8,8 yuans, KCoffee de KFC les vend à 5 yuans pour ses membres en échange d’une cotisation mensuelle de 10 yuans.

Comme dans l’automobile électrique, l’idée est de sacrifier les marges pour gagner des parts de marché. Starbucks, qui refusait jusque-là de participer à cette guerre, a fini par céder. En janvier, sa PDG en Chine jurait encore ne pas vouloir jouer sur les prix… mais depuis, les promotions se sont multipliées. L’enseigne vient même d’annoncer une baisse de prix moyenne de 5 yuans, avec une offre débutant à 23 yuans (2,77 euros).

L’émergence d’un nouveau champion : Chagee

Un nouvel acteur monte en flèche : Bawang Chaji (Chagee). Introduit au Nasdaq cette année, il cartonne avec ses thés lattés. Un mélange subtil entre Starbucks et Luckin : marketing agressif, design tendance des gobelets avec des motifs façon Dior, produits innovants, et un positionnement prix intermédiaire par rapport aux deux concurrents. En 2024, sa marge nette (20%) dépasse largement celle de ses deux grands concurrents, tout en maintenant un rythme effréné d’ouvertures.

Vers un basculement culturel

Au-delà du café, ce succès chinois illustre une dynamique plus vaste. Les marques occidentales, autrefois perçues comme synonymes de qualité et de réussite, perdent du terrain. Cette semaine, un article est paru chez ZoneBourse sur l’émergence d’un luxe traditionnel chinois. Mais ce phénomène est global. Apple, par exemple, voit ses ventes reculer en Chine au premier trimestre 2025, pendant que Xiaomi atteint des sommets. Dans l’automobile électrique ou les cosmétiques, les produits locaux gagnent aussi du terrain.

Derrière cette bascule, un phénomène : le ‘Guochao’, traduit en ‘marée nationale’. Une fierté croissante pour les produits chinois, leurs traditions, leurs codes. Si elle existait depuis plusieurs années, la crise économique actuelle l’a propulsée au premier plan. Et ses conséquences pourraient bien être majeures.