Le premier postulant à mordre la poussière est EkWateur. Le fournisseur d'énergie alternatif évoque des conditions de marché qui "n’étaient pas favorables à la réalisation de l’introduction en bourse dans des conditions satisfaisantes". L'entreprise créée en 2015 n'était pas forcément un mauvais client pour la bourse. Elle dégage déjà des revenus conséquents et s'inscrit dans la mouvance des fournisseurs d'énergie alternatifs, avec un discours qui entre en résonnance avec les thèmes actuels. L'argumentaire commercial développé via un site internet commercial plutôt réussi a l'air convaincant. Qu'est-ce qui a pu jouer contre la société ?

  • D'abord, une passe un peu plus délicate pour les acteurs estampillés "transition énergétique". Alors que les marchés volent de sommet en sommet – ce qui fait doucement ricaner quand une agence de communication justifie l'échec d'une IPO par des "conditions de marchés défavorables" – les investisseurs ne sont plus prêts au "quoi qu'il en coûte" pour s'exposer à la future star potentielle de l'hydrogène ou, en l'occurrence, à l'autoproclamé "incroyable fournisseur d'énergie verte".
  • Il y a probablement aussi eu un problème de positionnement prix d'EkWateur, au niveau de la valorisation.
  • Enfin, et je le souligne souvent quand il faut analyser une IPO, une partie de la réponse se trouve dans le prospectus. EkWateur se pare de quelques vertus, mais cela reste une entreprise au modèle économique encore incertain, qui doit lever des fonds pour assurer sa continuité d'exploitation. En dépit d'un chiffre d'affaires 2020 de 87 M€, la perte opérationnelle a atteint 9 M€ et les capitaux propres sont négatifs. Le management espère faire passer sa marge brute de 6,6% en 2020 à plus de 15% en 2025, mais le timing de l'équilibre opérationnel n'est pas précisé. 

La seconde opération annulée est, plus étonnant, celle de Parts Holding Europe (PHE), la maison-mère d'Oscaro détenue par Bain Capital. Là encore, la justification fait un peu sourire, même si la formule est utilisée depuis des années pour justifier une introduction en bourse ratée. Voici la prose en cause : "l'offre proposée a suscité un fort intérêt de la part des investisseurs institutionnels de long terme convaincus par les atouts du modèle de PHE et son important potentiel de croissance". L'intérêt était tellement fort et la confiance dans le modèle si élevée que l'IPO a été annulée. Pourquoi ? A cause du marché, pardi. La société et son principal actionnaire ont retiré leur projet "en raison de conditions de marchés défavorables aux introductions en bourse aux Etats-Unis et en Europe". Comme le soulignait mon confère Olivier Pinaud hier dans l'Agefi, le Landernau financier savait que le placement des actions PHE était poussif. Trop manifestement. Là aussi quelques signaux négatifs s'étaient accumulés.

  • Sur la base des résultats récents publiés dans le prospectus et des objectifs de moyen terme, la fourchette de prix d'IPO semblait généreuse. Sur ce point, l'exercice 2020 atypique n'aide pas vraiment, mais disons que les ratios "grosse maille" ne paraissaient pas extrêmement attractifs.
  • Le bilan de PHE est très lourd. Sa notation crédit est très basse (B3 chez Moody's). L'IPO devrait permettre de ramener le ratio dette nette sur Ebitda de 7,7 fois en 2020 à 4,8 fois en 2021, ce qui reste un ratio de couverture de la dette assez tendu pour une société dont la trajectoire de résultats est modeste.

PHE avait déjà postulé à une IPO en 2018 avant de renoncer. Ce second échec va conduire Bain Capital, qui veut se désengager, à la recherche d'une solution hors sphère boursière. C'est aussi un coup dur pour Euronext, qui comptait sur le retour des opérations sur le marché réglementé pour convaincre d'autres entreprises de sauter le pas. Le prochain gros test pour la place de Paris est probablement celui d'Aramis, la filiale de Stellantis spécialisée dans les véhicules d'occasion. Et pas question cette fois d'accuser les conditions de marché : dans l'automobile, l'occasion a le vent en poupe en Europe et aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, ce marché est même la seconde cause d'inflation après l'énergie, comme le souligne un article du Financial Times publié ce matin.

Les couacs EkWateur et PHE montrent qu'il ne faut pas être trop gourmand avec les IPO en Europe. Les investisseurs restent à l'affût des opportunités, mais au juste prix. Plus que les conditions de marché, ce sont les conditions proposées aux marchés qui coincent.