(Répétition sans changement d'une dépêche diffusée vendredi)

* Les petits porteurs affrontent les fonds spéculatifs

* L'action GameStop flambe, d'autres titres aussi

* La bataille crée des remous sur les marchés

* Les régulateurs exhortés à prendre des mesures

par Patrick Vignal

PARIS, 1er février (Reuters) - Ils sont jeunes et novices en matière d'investissement mais n'hésitent pas à affronter les vieux briscards, en particulier les vendeurs à découvert dont ils ont fait leur cible privilégiée, et font courir un vent de panique sur les marchés.

La bataille qui fait rage autour de GameStop et d'autres titres a provoqué un mouvement général d'aversion au risque et place dans l'embarras les autorités financières et politiques, pressées d'agir pour mettre fin au désordre.

Le phénomène met en lumière les pratiques d'une communauté qui s'organise sur des forums de discussion avant de partir à l'assaut en bande avec un appétit féroce pour les actions d'entreprises en difficulté sur lesquels les fonds spéculatifs parient à la baisse.

Cette stratégie vient de faire bondir l'action GameStop , un distributeur de jeux vidéo à la santé fragile dont le cours a été multiplié par plus de dix en une semaine.

D'autres actions ont également été très entourées par ces nouveaux venus dans l'univers de la Bourse, et pas simplement aux Etats-Unis, leur terre d'origine. BlackBerry, Nokia ou Unibail-Rodamco-Westfield ont ainsi tous fortement progressé ces derniers jours sans raison apparente.

Les apprentis traders ont un faible également pour Tesla , et son patron et fondateur, Elon Musk, grand pourfendeur des vendeurs à découvert qu'ils surnomment "Papa Musk".

Ils se concentrent cependant principalement sur les valeurs petites ou moyennes, comme celles qui composent l'indice américain Russell 2000.

En face se dressent les professionnels de la vente à découvert, pratique qui consiste à emprunter un titre en tablant sur sa baisse pour pouvoir l'acheter à terme en empochant une plus-value.

Un problème se pose toutefois au vendeur lorsque le titre se met à grimper, ce qui lui impose de couvrir sa position pour éviter des pertes considérables.

La société américaine Citron Research, spécialisée dans les dossiers au bord de la faillite, le fonds spéculatif Melvin Capital et d'autres viennent d'en faire l'amère expérience dans le feuilleton GameStop, perdant au passage beaucoup d'argent.

BIENVENUE DANS L'ÈRE DES "NEW DAY TRADERS"

Énormément d'argent, même, puisque les pertes des investisseurs ayant pris des positions de vente à découvert sur des sociétés cotées à Wall Street s'élèvent déjà à 70,87 milliards de dollars (58,38 milliards d'euros) depuis le début du mois, selon les données publiées jeudi par la société d'analyse Ortex.

Ce phénomène de liquidation forcée des positions à découvert ("short squeeeze" en anglais) n'est pas nouveau mais monte en puissance avec l'émergence de nouveaux investisseurs inexpérimentés, affamés et pressés. Ils ont déjà leur petit nom puisqu'on les appelle les "New Day Traders"' (NDT), le "day trading" étant une stratégie consistant à fermer toutes ses positions avant la clôture des marchés.

Leur essor est favorisé par l'explosion d'applications de trading sans frais comme Robinhood ou encore par le site communautaire Reddit, au coeur du feuilleton GameStop.

Robinhood, qui compte plus de 13 millions d'utilisateurs, n'a pas échappé à la tourmente en annonçant jeudi limiter temporairement les transactions sur GameStop et d'autres titres aux variations frénétiques.

Une volée de bois vert a suivi sur les réseaux sociaux, une foule variée comprenant des artistes de rap et des personnalités politiques démocrates comme républicains reprochant à l'application de pénaliser les petits porteurs au profit des gros.

Cet épisode a fait replonger l'action GameStop de 44% jeudi mais le titre est reparti à la hausse après la clôture dans l'espoir d'une reprise des transactions sur Robinhood.

Le peu d'expérience de ces boursicoteurs n'empêche pas certains de maîtriser des produits dérivés sophistiqués.

Ils savent aussi s'organiser puisque c'est sur Wallstreetbets, un groupe de discussion d'investisseurs particuliers hébergé par Reddit, que s'est tramée la saga GameStop, ce qui, pour Michael Hewson, analyste de CMC Markets, pose un problème.

UNE MEUTE DANS LA SAVANE

"Peu de gens vont pleurer sur les lourdes pertes des fonds spéculatifs. Quand ou joue avec le feu, on risque de se brûler", rappelle-t-il. "L'agitation sur les marchés suggère cependant que les régulateurs devraient se pencher sur la surveillance des forums d'investisseurs particuliers et sur la manière dont ils agissent sur les marchés."

Des soupçons d'entente pour manipuler le cours d'une action, une pratique interdite aux institutions financières, pourraient selon lui peser sur ces forums. D'autres évoquent un risque pour la stabilité des marchés dans un contexte de remontée de la volatilité, de valorisations tendues et de spéculation excessive.

"La folie a pris un tour nouveau avec ce bataillon belliqueux d'investisseurs particuliers qui parcourt la savane des actions", écrit dans une note Albert Edwards, stratégiste de Société Générale, qui voit dans le phénomène un sous-produit des politiques monétaires extrêmement accommodantes des banques centrales.

"Cette meute vaguement organisée se renforce à chaque fois qu'elle tue un fonds spéculatif. Intoxiquée par le succès, elle traquera des proies toujours plus grosses et plus puissantes." (édité par Marc Angrand)