L’action coche les quatre conditions principales pour figurer dans notre rubrique "fallait pas l'inviter" : du rouge sur les quatre pas de temps de référence -20% cette année, -2% sur 3 ans, -36% sur 5 ans et -20% sur 10 ans. On va quand même alléger un peu la déprime que suscite probablement TF1 chez les observateurs extérieurs. Sur la décennie écoulée, la politique de dividende, généreuse, vient tempérer ce bilan. Au lieu de perdre 20% sur 10 ans, réinvestir les dividendes a permis d'engranger 45%. Soit un bilan annuel moyen de hausse bien plus présentable de 3,43%. C'est mieux que le Livret A, mais on reste quand même très en-deçà du marché, puisque le SBF120 a dans le même temps pris 173%, soit 10,4% par an (dividendes réinvestis).

TF1
Dix ans de bourse (sans les dividendes)

Comme souvent, cette rubrique démarre par un peu d'histoire. Jeune inculte qui nous lit, sache qu'il fut un temps où la France ne comptait qu'une seule chaîne de télévision. Nota bene : une chaîne de télévision est un mode de transmission d'image et de son qui ne permet PAS de choisir son programme. Je sais, écrit comme ça à l'époque de Netflix et de YouTube, ça fait bizarre. Mais c'était la réalité il n'y a pas si longtemps. Avantage : le téléspectateur n'a pas à choisir ce dont il est abreuvé, tout lui est fourni ! Une sorte de TikTok avant l'heure en somme, mais avec des contenus nettement moins suggestifs. Autre avantage : le sujet de conversation du lendemain est évident et ultra-inclusif (exemple "tu as vu Le Gendarme de Saint-Tropez hier soir ? C'était rigolo hein").

Et PAF !

Bref, TF1 est l'une des héritières de l'ORTF, qui en plus de proposer une grille de programme unique imposait LA grille voulue par le parti au pouvoir. L'ORTF a été démantelée en 1975 sur décision du Valéry Giscard d'Estaing. Sept entités en sont issues : l'INA (archives), TDF (diffusion), SFP (production de contenus), Radio France (radio publique) et trois chaînes : TF1, Antenne 2 et France Régions 3. De ces trois chaînes, seule TF1 sera privatisée, en 1987, dans le sillage de l'arrivée de nouvelles concurrentes : Canal+, La Cinq et TV6. La Cinq ne vivra que six ans, ce qui est clairement mieux que TV6, qui n'a même pas pu souffler sa première bougie et qui sera remplacée par M6 Métropole Télévision. A cette époque, on appelait ce microcosme le "PAF", pour Paysage Audiovisuel Français.

Privatisation

La privatisation de la première chaîne française suscite l'intérêt de tout le gotha médiatique européen. Mais la finale oppose le curieux attelage Bouygues / Robert Maxwell / Bernard Tapie / Editions Mondiales / GMF / Le Point et des financiers d'un côté à Hachette / BNP de l'autre. On le sait, c'est Bouygues qui rafle la mise et qui ajoute une nouvelle brique à son empire du BTP. S'ensuit une reprise en main qui aboutit à faire de TF1 le leader français incontesté du média le plus influent du moment. Jusqu'à l'arrivée d'internet bien sûr. Oh, j'oubliais, TF1 est entrée en bourse le 24 juillet 1987 à 165 francs par action.

Un petit coup d'œil au graphique qui suit permet de comprendre qu'il ne s'est pas passé grand-chose sur le dossier depuis la crise financière. Et de constater au passage que le marché nourrissait des espoirs fantasmagoriques pendant la bulle spéculative du début du millénaire.

TF1
Pas foufou, hein ?

Bon, facile de faire du TF1-bashing, surtout depuis que JPP a disparu (pas celui-là, l'autre !). Penchons-nous un peu sur les finances du groupe pour objectiver le débat. Une rétrospective sur 10 ans montre que la société a connu des hauts et des bas. Le chiffre d'affaires 2022 est peu ou prou identique à celui de 2013, mais la rentabilité s'est améliorée dans l'intervalle. La génération de liquidités est très variable. Elle était inférieure à 10 M€ en 2013 et supérieure à 300 M€ en 2021. En moyenne, elle avoisine 100 M€ par an sur ce pas de temps. Il faut toutefois noter qu'en mettant de côté l'exercice 2021, très favorable, le cash-flow libre s'est quand même considérablement amélioré depuis 2018 : il n'est jamais redescendu sous 140 M€ depuis. Dans le même temps, la société s'est débarrassée de sa dette. De quoi renforcer la pérennité d'un dividende qui constitue, on l'a compris plus haut, un atout clef du dossier.

Pour autant, TF1 n'est pas isolé dans ce cas dans le secteur. C'est même la marque de fabrique des grands groupes médias télévisuels européens. Le tableau qui suit montre que sept acteurs majeurs du secteur servent tous des coupons offrant 6 à 10% de rendement. TF1 est plutôt dans le ventre mou sectoriel de ce point de vue, comme au niveau du ROE d'ailleurs.

TF1 Bis

Des tentatives mal récompensées

Comptablement, pas grand-chose à redire. Pour le reste, TF1 reste exposée au marché de la publicité, notamment au niveau des annonceurs généralistes, ce qui en fait un acteur cyclique. Les tentatives de diversification n'ont pas été vraiment probantes, comme le démontrent l'abandon de la plateforme franchouillarde Salto tout récemment, ou la cession à Reworld Media du pool de sites internet comprenant notamment Auféminin.com et Marmiton. Les groupes médias traditionnels, qui rêvaient d'une convergence des plateformes en pleine folie internet en 2000 (coucou Jean-Marie Messier), se sont souvent approchés de la solution mais n'ont jamais vraiment trouvé la bonne formule. D'ailleurs, les synergies sont faibles entre TF1 et Bouygues Telecom, qui évoluent pourtant au sein du même groupe.

Et que fait une société qui ne peut pas grossir en se diversifiant ? Elle essaie de grossir dans son domaine principal, par exemple en rachetant un rival. D'où, sans doute, l'opération programmée avec M6 Métropole Télévision, finalement étouffée par l'antitrust. Encore un échec, même si en l'occurrence TF1 n'a pas grand-chose à se reprocher dans cette affaire.

La production de contenus pour exister

Le groupe poursuit donc sa route seul, en misant sur sa production interne, qui croque environ 1 milliard d'euros par an de ressources. L'objectif est de fournir des contenus qui fonctionnent à la fois en direct et en replay. Le nouveau directeur général Rodolphe Belmer a d'ailleurs souligné cette semaine que les grands programmes sérialisés qui marchent sur le "linéaire" (comprendre la télévision traditionnelle) sont aussi ceux qui fonctionnent à la demande, notamment chez les jeunes. Bon connaisseur du secteur, il estime qu'il y a une manne conséquente à prendre sur la publicité numérique, mieux ciblée que la publicité classique à la télévision. Pour le reste TF1, comme ses homologues européens, traîne toujours comme un boulet une approche réglementaire et politique vieillotte en Europe, qui déséquilibre à coup sûr le rapport de force avec les grandes plateformes comme Netflix, Amazon Prime ou Disney+. Difficile, dans ces conditions, de sortir du "complexe du cornflakes" et de s'extirper par le haut de notre liste "fallait pas l'inviter".

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