Après avoir atteint il y a quatre ans des sommets boursiers et des ratios de valorisation dignes du secteur du luxe, le titre TFF Group est passé de mode et sa valorisation a été divisée par deux. La crise sanitaire n’a certes pas aidé, les restaurants étant désertés, mais surtout le groupe a investi lourdement dans la croissance sur le marché du Bourbon, comprimant ses marges. Sont venus également s’ajouter des phénomènes inflationnistes sur les matières premières ainsi que des incidents climatiques affectant les vendanges (gel, incendies…). En publiant un retour de la croissance au 2e trimestre, TFF Group suscite un regain d’intérêt. Le point avec Jérôme François, représentant de la 4ème génération à la tête du groupe.

Jérôme François, le retour de la croissance au 2e trimestre signale-t-il une inversion de tendances pour le Groupe après quatre années de baisse des résultats ?

" Nous sommes effectivement en train de sortir progressivement d’une période particulièrement affectée par de nombreux effets exogènes qui ont touché à la fois notre activité Vins (60% de notre CA) et notre activité Alcools (40% du CA). Même sur cette dernière, indépendante des phénomènes climatiques qui ont affecté les récoltes de vin depuis 2019, nous avons subi de plein fouet les problématiques de hausses de matières premières. Sont venus s’ajouter les problématiques logistiques avec des coûts et des délais de livraison très supérieurs aux niveaux historiques. A l’image des pénuries et des prix prohibitifs observés sur les conteneurs maritimes. Ces phénomènes qui s’imposent à nous ne nous ont pas permis de répondre correctement à une demande qui reste forte, en particulier sur les Alcools où la croissance structurelle du marché atteint 3 à 5% pour le Whisky et 5% pour le Bourbon.

Aujourd’hui, nous observons des signes encourageants d’assainissement et de normalisation des marchés. Le retour de la croissance ce semestre en témoigne. Dans les semaines à venir, nous devrions assister à des anticipations de commandes de la part de nos clients américains, ce qui pourrait se traduire par un dernier trimestre très dynamique. Les récoltes se présentent également bien dans l’hémisphère Sud en termes de volumes. Cependant, les taxes chinoises sur les vins australiens pourraient perturber les exportations de nos clients australiens… "

Comment gérez-vous les pressions inflationnistes que vous observez sur de nombreux postes de coûts ? Quelle est l’importance du prix dans la décision de vos clients d’investir et de vous choisir ?

 " Dans le Vin, nous avons, début 2021, décidé de marquer une pause en matière de hausse des prix. Nous souhaitions accompagner nos clients déjà affectés par les incendies aux Etats-Unis et par des gelées historiques en Europe. Traditionnellement, nous pratiquons des hausses tarifaires annuelles de 1,5% à 3%, corrélées à l’évolution du prix des matières premières. Cette pause tarifaire sera suivie d’un rattrapage en 2022 avec une hausse de 5/6%, principalement liée à l’augmentation du bois sur pieds (+15%), de la main d’œuvre et des services.

Nos clients s’appuient généralement sur une poignée de fournisseurs, lesquels subissent les mêmes hausses de coûts que nous et sont amenés à les répercuter tôt ou tard. Le taux de fidélité est très élevé et surtout lié aux changements de propriétaires, chacun ayant ses habitudes.

TFF Group a l’avantage par rapport à ses concurrents d’être très intégré verticalement, de l’amont à l’aval. Cela nous permet de mieux encaisser les problématiques d’approvisionnement. Ainsi, dans l’activité Vins, 75% de notre CA provient de la vente de fûts neufs et 25% de nos diversifications entreprises depuis 2008 dans les exploitations forestières, la foudrerie, les contenants inox et les bois produits pour l’œnologie.

Dans le domaine des Alcools, les augmentations sur la matière première en 2021 sont encore supérieures, de l’ordre de 25% pour ce qui est du chêne américain, ce qui implique en théorie une hausse de prix de +10/12% sur laquelle nous sommes actuellement en réflexion..."

La croissance dans le Bourbon a contribué à la diminution par deux du ROE sur les dernières années. De lourds investissements ayant été consentis, peut-on attendre à horizon 2025 un retour au ROE à deux chiffres réalisé historiquement ?

 " Effectivement, notre investissement de 176ME réalisé depuis 2016 dans le Bourbon aux Etats-Unis au travers de 5 merranderies et 2 tonnelleries pèse dans un premier temps sur le ROE, le temps que les capacités soient pleinement utilisées et que les amortissements se normalisent. Si nous avons accusé un retard au cœur de la pandémie, nous sommes en train de le rattraper avec un carnet de commandes déjà rempli pour 2022/23. Malgré la pénurie de main d’œuvre qui complique notre tâche aux Etats-Unis, nous devrions être conformes à la feuille de route avec un passage de un peu moins de 500 000 fûts sur 2021/2022 à environ 750 000 futs en 2023/24. La question de la reprise des investissements pour favoriser la croissance ou le maintien des capacités pour privilégier la rentabilité va rapidement se poser. L’envolée des matières premières ne facilite pas les analyses et les prévisions à moyen terme. Ainsi, le taux de marge d’Ebitda en 2023/24 sera plutôt en bas de fourchette initialement estimée à 15/20% compte tenu de la hausse des prix des matières premières. Cependant, ce taux s’appliquera sur un CA de l’ordre de 140 à 150 M$, contre de l’ordre de 120 M$ initialement estimés. A horizon 2024/2025, l’activité Vins devrait représenter environ 55% du CA Groupe et nous pouvons nous attendre à un CA global d’environ 350 M€. "

La consolidation de votre secteur continue avec le rachat de Doreau (20 M€ de CA) par Charlois (115 M€). Quelle place aura la croissance externe dans la stratégie des prochaines années ? De quels moyens disposez-vous ?

 " Notre dernière opération de croissance externe a été réalisée dans le Vin avec la tonnellerie Darnajou rachetée il y a 18 mois. Avec une à deux opérations de rachat par an depuis 20 ans, nous avons en permanence des dossiers à l’étude. Doreau en faisait partie, mais ne répondait pas à nos critères de rentabilité. Nous avons négocié en début de crise sanitaire une centaine de million d’euros de lignes de crédit supplémentaires, ce qui nous octroie une force de frappe de 150 à 200 M€ sachant qu’à la fin du 1er semestre, notre endettement net a poursuivi sa décrue sur la, à 133M€, contre 138M€ au 30 avril 2021. Ceci sans que le niveau des stocks, à 256M€, ne soit pénalisé et après le versement d’un dividende de 7,6M€. Nous sommes revenus à un rythme d’investissement normatif de 5 à 7 M€ annuels dont 2/3 consacrés aux Vins et 1/3 aux Alcools. Sur les Alcools, l’investissement actuel est avant tout humain, avec environ 20% de l’effectif en phase d’apprentissage d’une durée de quatre ans."

Résultats semestriels de TFF Group (source société, publication du 5 janvier 2022)