A eux deux, l'Etat (26%) et Dassault Aviation (25%) contrôlent plus de la moitié du capital et l'écrasante majorité des droits de vote (64%).
 
Graphique Thales
 
En France, la présence de la puissance publique au capital de grandes entreprises est généralement un funeste présage. Thales fait cependant exception : à l'instar d'Airbus ou Dassault, le groupe peut se vanter d'avoir le chef de l'Etat et la crème du personnel diplomatique tous très engagés dans la vente de ses produits et services — avec, signalons-le, de probantes réussites ces dernières années.
 
Conjugué avec un plan de restructuration bien pensé, ce zèle commercial explique en grande partie l'augmentation du chiffre d'affaires sur la dernière décennie, quoique celle-ci demeure modeste puisque grosso modo similaire à la croissance du produit intérieur brut. C'est surtout au niveau des profits et du contrôle des coûts que les progrès apparaissent les plus saillants. 
 
Pour l'anecdote, Thales resta longtemps sujet à la défiance des investisseurs, tant les plans de restructuration plus ou moins bien ficelés — en fait des pétards mouillés — se succédaient les uns après les autres, conséquences lamentables d'une aventure industrielle jalonnée d'innombrables diversifications plus ou moins hasardeuses. 
 
Reconnaissons toutefois que le plan mis en place suite à la dernière grande crise n'a pas déçu. Au contraire : le groupe a progressivement cédé ses activités non-stratégiques, su miser en avance sur le très prometteur domaine de la cybersécurité (une démarche consacrée par la récente acquisition de Gemalto), et bien diminuer sa dépendance au marché européen (55% du chiffre d'affaires en 2018), passablement atone depuis dix ans, en s'imposant par exemple sur les très dynamiques marchés arabes et asiatiques.
 
Ces développements positifs se retrouvent dans le prix de l'action qui quadruple entre 2012 et 2019 alors qu'il languissait aux mêmes planchers depuis vingt ans. En clair : entre Safran, Dassault et EADS (aéronautique), Nexter (véhicules), DNCS (marine, groupe dans lequel Thales possède une participation de 35%) et MBDA (missiles, filiale commune d'Airbus, du britannique BAE Systems et de l'italien Leonardo, ex-Finmeccanica), l'industrie militaire française se porte en pleine santé. 
 
Parmi ses pairs, Thales s'impose comme un leader mondial dans l'aérospatiale (36% du chiffre d'affaires), par exemple grâce à ses systèmes d'avionique et ses équipements pour satellites, dans le transport civil (13% du chiffre d'affaires) avec des systèmes de billetterie, de contrôle du trafic ou de signalisation ferroviaire sophistiqués, et bien sûr dans la défense, avec entre autres atouts une expertise enviée dans la conception de radars et de systèmes de communication et contrôle intégrés.
 
Le groupe occupe une position de leader mondial sur chacun de ces segments et ventile bien son portefeuille entre activités civiles et militaires (chacune représente la moitié du chiffre d'affaires), sans dépendance critique à un programme en particulier, au contraire par exemple d'un pair comme Dassault Aviation excessivement dépendant du succès commercial du Rafale — longtemps en berne mais cependant dopé par la diplomatie du précédent gouvernement — ou, aux Etats-Unis, Lockeed Martin pieds et poings liés au F-35.
 
Les technologies de pointe, la raison d'Etat et la nature stratégique de ses métiers confère à Thales un avantage compétitif puissant, non-reproductible et virtuellement inattaquable. Cette ubiquité devrait s'étendre au reste du continent au fur et a mesure que l'intégration du complexe militaro-industriel européen progresse.
 
Un autre avantage compétitif découle du cycle d'utilisation des produits et solutions commercialisés, souvent très longs car compris entre dix et trente ans, ce qui assure une appréciable récurrence des revenus. Le programme RBE2 — du nom du radar qui équipe le Rafale — est par exemple en développement depuis presque cinquante ans, et en phase de commercialisation depuis vingt ans avec encore de beaux jours devant lui.
 
Au niveau financier, Thales de distingue par une astucieuse gestion du besoin en fonds de roulement — négatif grâce à des contrats d'exportation bien négociés — et une rentabilité supérieure à ses pairs européens, certes un cran au-dessous des américains comme General Dynamics ou Raytheon, mais cependant admirable selon les standards du vieux continent. 
 
Le groupe défend un bilan solide et une génération de cash tangible sur le cycle long, dont le tiers fut redistribué aux actionnaires via des distributions de dividendes en croissance régulière, tandis que les deux autres tiers furent consacrés aux investissements et aux acquisitions. En 2018, le management a profité des taux déraisonnablement bas pour refinancer sa dette de manière opportuniste, et ainsi  préparer le terrain à l'acquisition de Gemalto (pour près de cinq milliards d'euros).
 
Fortement exposé aux commandes publiques (à hauteur d'environ les deux tiers des contrats là aussi), Thales est bien entendu tributaire d'états à la situation budgétaire fragile. Il n'en demeure pas moins idéalement positionné pour capitaliser sur une tendance porteuse car, après une longue période d'attentisme, le désengagement des Américains va forcer l'Europe à moins se reposer sur l'OTAN, et davantage prendre en main sa politique de défense commune.
 
De telles considérations n'ont pas échappé aux analystes qui suivent le groupe. A la lumière des dernières publications encourageantes et d'un carnet de commandes qui ne désemplit pas (+9% sur la dernier exercice), ces derniers — dont le consensus est sondé en temps réel par Zonebourse — viennent de relever leurs anticipations de résultats.
 
Au-delà des activités de défense, les synergies attendues de l'intégration de Gemalto pourraient aussi contribuer à leur donner raison, entraîner une croissance supérieure à celle du produit intérieur brut, et ainsi justifier une revalorisation à la hausse du prix de l'action — qui en l'état s'échange à 15x le profit attendu en 2020, soit un multiple typique d'une entreprise mature au profil de croissance modeste.
 
Thales est une nouvelle position du portefeuille Europe

(L'auteur n'est pas actionnaire.)