NEW YORK (awp/afp) - La pandémie permettra-t-elle à la gauche américaine de réaliser un de ses rêves en taxant plus lourdement les riches? L'Etat du New Jersey vient d'ouvrir la voie, ce qui pourrait encourager d'autres Etats démocrates à suivre son exemple.

 

Phil Murphy, le gouverneur démocrate de cet Etat de près de 9 millions d'habitants, voulait alourdir l'impôt sur les revenus des millionnaires depuis son arrivée au pouvoir début 2018, sans arriver à obtenir le soutien de son Parlement.

 

Mais la pandémie est passée par là, qui a tué près de 16.000 personnes dans cet Etat voisin de New York, fait exploser le chômage, fermé commerces et entreprises, et privé les caisses publiques de plusieurs milliards de recettes fiscales.

 

Comme dans d'autres Etats, le budget du New Jersey ne tient plus la route. Et les collectivités locales attendent depuis des semaines, sans résultat jusqu'ici, une injection de fonds du Congrès qui fait, en pleine campagne présidentielle, l'objet d'un bras de fer entre démocrates et républicains.

 

Dans ce contexte, Phil Murphy et les responsables du Parlement du New Jersey ont annoncé jeudi avoir trouvé un accord pour relever les impôts sur leurs millionnaires, qui représentent quelque 9% des foyers de cet Etat - soit la plus forte concentration aux Etats-Unis, selon le dernier classement de l'institut Phoenix Marketing International.

 

Pour l'année fiscale 2021 débutant au 1er octobre, le taux d'imposition pour tout revenu dépassant le million de dollars devrait donc passer de 8,97% à 10,75% - le taux appliqué jusqu'ici aux revenus supérieurs à 5 millions de dollars.

 

Fuite des millionnaires?

 

Les recettes ainsi générées - estimées à quelque 390 millions de dollars - devraient permettre de verser 500 dollars aux familles dont les revenus ne dépassent pas les 150.000 dollars annuels (avec un enfant).

 

"Le Covid a vraiment étalé au grand jour les inégalités", a expliqué vendredi le gouverneur, lui-même ex-figure de Wall Street après plus de 20 ans de carrière chez Goldman Sachs.

 

"C'est une bonne chose en général, et plus encore en cette période de crise sanitaire et économique, de demander à ceux qui ont une bonne situation de nous aider à investir dans les classes moyennes", a-t-il ajouté sur Fox News.

 

Alors que le Wall Street Journal, aux éditoriaux très conservateurs, ironisait vendredi sur une prochaine fuite des millionnaires du New Jersey pour le Connecticut tout proche, M. Murphy s'est montré serein.

 

"Ce sont les taxes immobilières", et non les impôts sur le revenu, "qui peuvent faire changer d'avis" les gens, surtout les retraités, a-t-il souligné.

 

Une idée qui monte

 

L'accord du New Jersey risque d'alimenter le débat sur l'opportunité de taxer plus lourdement les riches dans d'autres Etats, notamment New York et la Californie: leurs finances sont également exsangues du fait de la pandémie, et les législateurs y examinaient déjà des projets en ce sens.

 

D'autant que l'idée d'une plus lourde taxation des riches progresse côté démocrate depuis des mois, et avait été au coeur de la campagne des primaires: les candidats les plus à gauche, Bernie Sanders et Elizabeth Warren, prônaient de lourds impôts sur les plus riches comme sur les bénéfices des grandes entreprises, pour financer notamment leurs projets d'éducation supérieure gratuite ou de couverture santé pour tous.

 

Bien que moins radical, Joe Biden, qui affrontera le 3 novembre Donald Trump pour la présidentielle, dit lui aussi vouloir augmenter les impôts pour "quiconque gagnant plus de 400.000 dollars".

 

"Les très riches doivent payer leur juste part et les entreprises doivent payer leur juste part", répétait-il fin août, au risque d'alimenter les attaques de Donald Trump et du camp républicain qui le décrivent comme "un cheval de Troie du socialisme", un terme marqué très à gauche aux Etats-Unis.

 

Mais même si le contexte est porteur, Lucy Dadayan, experte en politique fiscale au centre de réflexion indépendant Urban Institute, estime que les Etats démocrates ne se précipiteront pas pour suivre l'exemple du New Jersey.

 

"Ce sont des décisions lourdes", dit-elle. Même si "nous sommes à un moment où les politiques cherchent des moyens de générer des revenus sans nuire aux plus vulnérables (...), beaucoup dépendra de la gravité de la crise économique, et du déblocage ou non d'une aide du gouvernement fédéral".

 

Quant au risque d'une fuite des contribuables pour des Etats moins lourdement taxés, qui revient souvent dans ce débat, elle estime qu'il ne devrait pas peser dans l'équation.

 

A l'heure des pandémies et des catastrophes naturelles en augmentation, "beaucoup de contribuables risquent plutôt de (décider où habiter) en fonction de la capacité des Etats à gérer ces crises", dit-elle.

 

cat/chp/ahe