Les sanctions qui frappent la Russie depuis qu'elle a envahi l'Ukraine ont d'importantes répercussions pour les entreprises qui opéraient dans le pays, en particulier dans les énergies fossiles. TotalEnergies avait misé gros sur la Russie, notamment via les projets Yamal et LNG et Arctic LNG 2, ou les gisements de Kharyaga et Termokarstovoye.

Arctic LNG 2

Mais intéressons-nous plus particulièrement à Arctic LNG 2. La major française et ses partenaires ont lancé la décision d'investissement en 2019. Le projet, situé sur la péninsule de Gydan en Russie, se caractérise par une capacité de production de gaz liquéfié de 19.8 millions de tonnes par an. Le premier cargo de GNL Arctic LNG 2 devait prendre la mer en 2023. TotalEnergies détient une participation directe de 10% dans le projet, à laquelle s’ajoute une participation indirecte de 11.6% au travers de sa présence au capital de Novatek, opérateur principal de Arctic LNG 2. La participation économique globale de TTE dans Arctic LNG 2 est donc de 21.6%.

Compte tenu du nouveau contexte géopolitique, TotalEnergies a profité de la clôture de ses comptes du 1er trimestre 2022 pour provisionner un montant de 4.1 Mds$. Ce montant est très élevé, même s'il n'atteint pas les 25.5 Mds$ annoncés par BP Plc, qui a choisi de couper entièrement les ponts avec la Russie. Mais à quoi correspond-il au juste ? 

Pour le comprendre, démarrons avec la slide n°5 de la présentation du 24 mars 2022 (Strategy, Sustainability & Climate). On comprend que la participation directe de TotalEnergies dans Arctic LNG 2 se traduit par 2.5 Mds$ de capitaux employés. Au-delà de cette exposition de 2.5 Mds$, TotalEnergies a accordé des garanties en sa qualité d’actionnaire au bénéfice des prêteurs pour couvrir sa quote-part de la dette dans le cadre des financements du projet. Sur Arctic LNG, cette exposition s’élève à environ 800 M$.

 

Exposition de TotalEnergies en Russie (source : slide n°5 présentation 23 mars 2022)
Exposition de TotalEnergies en Russie (source : slide n°5 présentation 23 mars 2022)

 

Cette slide de présentation est relativement importante puisqu’elle permet aux actionnaires de comprendre à quels niveaux le groupe est exposé en Russie. Ce sont ces différentes participations et engagements qui ont fait l’objet de dépréciations et provisions.

Distinguer provision pour dépréciation et provision pour risques et charges

Les provisions pour dépréciation à l’actif (appelées le plus souvent “Dépréciations”), constatent une perte de valeur accidentelle et non définitive d’un élément de l’actif. Elles se distinguent notamment des amortissements qui constatent une dépréciation irréversible. De plus, alors que seules les immobilisations peuvent être amorties, tous les éléments d’actifs sont susceptibles de se déprécier accidentellement et peuvent donc faire l’objet de provisions pour dépréciation.

Les provisions pour risques et charges sont quant à elles destinées à couvrir des risques identifiés et réels, relatifs à l’activité de l’entreprise, mais dont le montant et l’échéance sont incertains. Voyez ça comme une réserve destinée à anticiper des charges futures plus ou moins bien évaluées.

Traitements comptables

  • De l’argent toujours présent dans les comptes

Ces deux types de dotations aux provisions se traduisent par un poste de charges dans le compte de résultat et viennent réduire le résultat de l’entreprise (ainsi pour TTE le résultat net part du groupe passe de 8 977 M$ à 4 944 M$) alors que factuellement, l’argent n’est pas encore sorti des comptes du groupe (sans effet sur la trésorerie). 

  • Le bilan doit rester équilibré

Sachant que le résultat net de l’entreprise (diminué par la présence des provisions) glisse, à la fin de l’exercice, au niveau des capitaux propres dans le bilan, il est nécessaire d’équilibrer celui-ci. Le mécanisme est différent s’il s’agit d’une dépréciation ou d’une provision pour risques et charges : 

  • Dans le cas d’une provision pour dépréciation, l’équilibre s’opère par le fait que l’actif est diminué du même montant que la provision enregistrée au niveau des charges.
  • Dans le cas d’une provision pour risques et charges, l’actif ne bouge pas, c’est seulement au passif que l’équilibrage s’opère : la provision doit être perçue comme une nouvelle ressource et vient augmenter le passif de l’entreprise, ce qui a pour effet de neutraliser la différence entre le résultat net ajusté et le résultat net réel enregistré à la fin de l’exercice au niveau des capitaux propres.

La reprise des provisions

Ce qu’il est important de retenir, c’est que les dépréciations constatent une perte de valeur qui n’est pas définitive et que les provisions pour risques et charges peuvent être mal calibrées. Le contexte qui a amené l’entreprise à réaliser ces provisions peut changer et celle-ci devra donc agir en conséquence, c'est-à-dire reprendre partiellement ou totalement la provision ou bien augmenter cette dernière si la probabilité que le risque se matérialise augmente.

Par exemple, pour le cas des provisions pour risques et charges, il faut bien comprendre que la provision est passée lorsque le risque est fort probable, mais le montant que l’entreprise va devoir dépenser pour faire face à ce risque est seulement estimé, il n’est pas clairement défini. La date d’échéance de ce risque n’est pas connue non plus. A la fin de l’année si on suppose que le risque n’existe plus, on va reprendre l’argent qui est au passif et considérer qu’il s’agit d’un produit dans le compte de résultats. La provision va disparaître du bilan. Si les charges anticipées viennent en effet à être comptabilisées sur un ou plusieurs exercices ultérieurs, alors la reprise des provisions effectuées en 2021 par TTE permettra de neutraliser les charges correspondantes qui n’auront donc aucun impact sur les résultats des exercices en question.

Le cas de la provision de TotalEnergies

Dans sa publication, lorsque TotalEnergies parle d’une provision de 4.1 Mds$ il s’agit en réalité d’un mix entre dépréciations et provisions pour risques et charges. Le détail exact de ce qui a été pris en compte est cependant très difficile à obtenir, d’autant plus que ces 4.1 Mds$ ne concernent pas uniquement les activités de Arctic LNG 2 mais aussi d’autres actifs russes auxquels le groupe est exposé.

En gros la manœuvre comptable qu’a effectuée TTE consiste à assumer d’une part la perte de valeur de sa participation dans le projet (dépréciation) et d’autres part des dépenses qui n’ont pas eu lieu sur le trimestre mais qui ont de grandes chances d’être constatées sur les exercices à venir. Le point clef, c’est que TTE a enregistré ces provisions sur un trimestre particulièrement bon (ce qui réduit à l’occasion son assiette imposable) et a enveloppé cette manœuvre comptable dans une belle opération de communication. Le groupe pourra se servir de cette nouvelle ligne de ressources créée pour potentiellement absorber des lourdes charges sur un exercice qui pourrait être moins bon.

Le même genre de manœuvres comptables peuvent être effectuées lorsqu’il y a une restructuration d’un groupe. Ces nouvelles sont généralement bien accueillies par le marché quand le groupe arrive à les annexer à une belle publication, alors qu’il s’agit quand même de signaler aux actionnaires que des risques imprévus au départ sont en train de se matérialiser.