par America Hernandez

PARIS, 28 février (Reuters) - La justice pourrait ordonner mardi à TotalEnergies d'interrompre le développement d'un important projet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie, en vertu d'une première décision basée sur une loi rendant les grandes entreprises françaises responsables des risques de leurs activités pour l'environnement et les droits de l'homme.

Le tribunal judiciaire de Paris doit se prononcer dans l'après-midi sur une procédure engagée en 2019 par six ONG contre TotalEnergies qui accusent le groupe d'avoir exproprié les terres de plus de 100.000 personnes sans compensation adéquate et de préparer des forages dans une zone abritant des espèces menacées.

TotalEnergies fait valoir de son côté que ses plans de vigilance, de compensation et de relocalisation sont justes et légaux, et qu'un tribunal français n'a pas le pouvoir de contrôler les activités à l'étranger de sa filiale TotalEnergies EP Uganda.

En jeu : les projets pétroliers du groupe en Ouganda et en Tanzanie, qui prévoient le forage d'environ 400 puits (projet Tilenga) et la construction d'un oléoduc de 1.443 kilomètres, d'une valeur de 3,5 milliards de dollars, dans lequel il détient une participation de 62% (projet EACOP).

La décision du tribunal judiciaire de Paris aura valeur de test pour la loi française sur le devoir de vigilance, adoptée en 2017.

Celle-ci impose aux sociétés mères et aux entreprises donneuses d'ordre de prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, résultant de leurs activités et de celles de leurs filiales, sous-traitants ou fournisseurs, à travers l'établissement et la mise en oeuvre d'un "plan de vigilance".

Dans le cas de la procédure engagée contre TotalEnergies, les Amis de la Terre France et cinq autres ONG françaises et ougandaises demandent une suspension d'urgence des projets du groupe jusqu'à ce qu'une compensation financière soit versée aux personnes qui, selon elles, ont été lésées par l'acquisition de terres liée à ces projets.

Les activistes réclament également la mise en place d'une nouveau plan de vigilance de l'entreprise, afin de prendre en compte les risques environnementaux pour l'eau, les espèces menacées et le climat en Ouganda et en Tanzanie.

TotalEnergies a déclaré que son plan avait été mis en oeuvre de manière efficace dans le cadre des projets concernés, pour lesquels des permis de construire ont été accordés le mois dernier en vue d'une mise en service de l'oléoduc prévue en 2025.

"Le plan de vigilance de TotalEnergies SE identifie bien les risques répondant aux préoccupations des ONG (...), [y compris] les risques concernant les droits humains et les communautés locales, l'accès à la terre, le droit à la santé et à un niveau de vie suffisant, ainsi que les risques pour la sécurité des personnes et l'environnement", a indiqué le groupe lundi dans une déclaration à Reuters.

L'affaire pourrait avoir des conséquences au-delà de TotalEnergies et de ses projets en Afrique de l'Est.

D'autres multinationales françaises, dont EDF, La Poste, Teleperformance, Suez, BNP Paribas et Danone, ont été poursuivies sur la base de la loi de 2017 sur le "devoir de vigilance".

Ces affaires concernent des sujets aussi variés que la pollution par les plastiques, les conditions de travail en France et à l'étranger, les prêts à des entreprises contribuant à la déforestation, ou encore et les conflits fonciers avec des populations locales lors de la construction de nouveaux projets.

"Nous assistons en fait à l'émergence d'un tout nouveau domaine de litiges", souligne Caroll Muffett, directeur du Centre pour le droit international de l'environnement à Washington.

"Ce qui lie ces affaires, c'est qu'il y a toute une série d'obligations légales qui entrent en jeu (...) alors que l'univers des plaignants potentiels lésés par la conduite des entreprises devient de plus en plus large", ajoute-t-il. (Version française Benjamin Mallet ; édité par Tangi Salaün)