RYAD (awp/afp) - Quoi de plus banal qu'un tweet de condoléances pour la mort d'un militant. Mais la mystérieuse disparition de son auteur, un ancien vice-ministre saoudien des Finances, a mis en lumière "l'autoritarisme numérique" d'un royaume tenu d'une main de fer par son prince héritier.

Le cas d'Abdelaziz al-Doukhaïl illustre la manière dont l'Arabie saoudite, qui compte le plus grand nombre de twittos (utilisateurs de Twitter) dans le monde arabe, exploite la plateforme pour dompter toute velléité de dissidence.

Abdelaziz al-Doukhaïl, comme deux autres personnalités publiques du pays, ont disparu en avril après avoir exprimé sur Twitter sa sympathie à la famille d'Abdallah al-Hamid, selon ses proches et des ONG.

Ce militant est mort en prison d'une attaque cérébrale alors qu'il purgeait une peine de 11 ans.

Le lieu de détention d'Abdelaziz al-Doukhaïl n'est pas connu et les autorités n'ont pas émis d'accusations formelles contre lui, a déclaré à l'AFP son fils Abdelhakim, qui vit à Paris.

"Pourquoi a-t-il été enlevé ? Quel était son crime ? Est-il en prison juste pour un tweet?", s'est-il interrogé.

Contactées, les autorités saoudiennes n'ont pas répondu aux questions de l'AFP.

Prison de haute sécurité

La répression des dissidents, y compris au sein de la famille royale, est allée crescendo ces dernières années avec le renforcement de la mainmise du prince héritier Mohammed ben Salmane sur le pouvoir.

Les arrestations se sont multipliées en vertu d'une loi contre la cybercriminalité qui, selon des militants des droits humains, pénalise les critiques en ligne du gouvernement.

"Un simple tweet peut vous envoyer en prison, où vous n'aurez pas accès à un avocat pendant des mois, voire des années", souligne Lynn Maalouf, directrice de recherche sur le Moyen-Orient à Amnesty.

Une autre source d'inquiétude est l'accès à des données de Twitter de la part de taupes saoudiennes infiltrées au sein de l'entreprise américaine.

Le ministère américain de la Justice a accusé deux anciens employés d'espionnage pour le compte du gouvernement saoudien.

Ils avaient accédé en 2015 aux données de plus de 6.000 comptes, en recherchant des utilisateurs "critiques du régime".

Abdelrahmane al-Sadhan, 36 ans, est un des utilisateurs débusqués par les taupes.

Cet employé du Croissant-Rouge saoudien s'était exprimé en faveur des droits humains, d'après sa famille.

Il a été arrêté à son bureau de Ryad par la police secrète en mars 2018, selon sa soeur Areej, qui vit à San Francisco aux Etats-Unis.

Deux ans après sa disparition, il a été autorisé à téléphoner brièvement à un parent et a dit être détenu à la prison de haute sécurité d'Al-Hair, près de Ryad.

"C'était le seul appel, il a duré moins d'une minute", a raconté sa soeur à l'AFP. "Quelqu'un derrière lui a dit +votre minute est terminée+. Il n'y a pas eu d'au revoir et la ligne a été coupée".

"Arme d'un régime autoritaire"

Lors de procès séparés contre Twitter, deux dissidents saoudiens vivant en Amérique du Nord ont affirmé que leurs comptes avaient été visés, mettant en danger la vie de leurs contacts en Arabie saoudite.

L'un d'entre eux, Ali al-Ahmed, qui dirige le groupe de réflexion Institute for Gulf Affairs à Washington, a déposé une plainte en août, accusant Twitter d'"échec abject" s'agissant de la protection de son compte.

Son avocat a fourni à l'AFP une liste de huit Saoudiens qui étaient en contact avec lui par le biais de comptes Twitter anonymes, affirmant qu'ils ont fini en prison, disparu ou sont morts.

Twitter n'a pas répondu aux questions de l'AFP.

Ces dernières années, le géant américain a supprimé des milliers de comptes saoudiens "soutenus par l'Etat", invoquant une violation de sa politique contre la propagande en ligne.

Pour Marc Owen Jones, auteur du livre à paraître "Digital Authoritarianism in the Middle East" (Autoritarisme numérique au Moyen-Orient), l'intrusion de l'Arabie saoudite sur Twitter est une "énorme audace".

"Ces dernières années, des entités liées à l'Arabie saoudite sont parvenues à utiliser et à s'infiltrer dans Twitter, à tel point que Twitter est devenu une arme du régime autoritaire", a-t-il expliqué à l'AFP.

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