San Francisco (awp/afp) - Uber et son concurrent américain Lyft pourraient interrompre totalement leurs services vendredi en Californie, une mesure drastique qui mettrait au chômage des dizaines de milliers de chauffeurs, si la justice décide que les deux plateformes doivent immédiatement requalifier ces travailleurs indépendants en salariés.

Les deux leaders de la réservation de voitures avec conducteur (VTC) sont engagés dans un bras de fer avec les autorités de la cinquième économie au monde (en termes de PIB, devant la France ou l'Inde).

La bataille est suivie de près par les nombreux autres gouvernements critiques de la "gig economy" (économie à la tâche), dont les travailleurs indépendants ne bénéficient pas de protections sociales, ou minimales.

Une cour californienne a ordonné le 10 août à Uber et Lyft de changer le statut des chauffeurs dans les dix jours, en accord avec la loi de l'Etat en vigueur depuis janvier, et rédigée avec les deux plateformes en ligne de mire.

Les deux groupes basés à San Francisco ont demandé un délai, et attendent une réponse mercredi ou jeudi.

"On ne sait pas si on va continuer à conduire. On ne sait pas si la menace est réelle", remarque Alexander Palacios, chauffeur pour Uber à Los Angeles depuis 2017.

"Mais c'est bien fait pour eux, parce qu'ils ne sont pas corrects avec les chauffeurs. (...) Ils récupèrent 50 à 60% du prix de la course".

"Pas le moment"

La possibilité de la disparition aussi soudaine d'un service né en Californie, et largement entré dans les moeurs, semble irréelle aux chauffeurs comme aux utilisateurs.

L'analyste indépendant Rob Enderle estime qu'un changement était inévitable, mais "ce n'est vraiment pas le moment. (A cause de la pandémie), beaucoup de chauffeurs sont en mode survie, et Uber et Lyft perdent beaucoup d'argent. Ils pourraient faire faillite".

Uber n'a jusqu'à présent jamais réussi à dégager de profits. Au premier semestre 2020, le groupe a perdu 4,7 milliards de dollars, notamment à cause de l'effondrement de la demande pour des trajets en voiture pendant la crise sanitaire.

La société a licencié environ un quart de ses salariés.

Uber Eats, son service de livraison de repas, qui n'est pas concerné par la bataille juridique en cours, a de son côté doublé ses revenus au deuxième trimestre.

Mais cela ne compense pas les difficultés de son activité principale.

Et surtout, "d'autres Etats de gauche vont aller dans le même sens que la Californie. Uber va devoir accélérer la transition vers les voitures autonomes. Ils ne peuvent pas se permettre de traiter les chauffeurs comme des employés. Les coûts monteraient en flèche", ajoute Rob Enderle.

Les entreprises sont engagées dans un procès contre la Californie, mais elles parient avant tout sur le référendum qu'elles organisent en novembre dans l'Etat, pour ou contre la "Proposition 22".

Souplesse

Cette proposition de loi "protège la flexibilité et fournit des avantages sociaux, y compris un minimum de revenus garantis, un remboursement des frais, des subventions pour la santé et une assurance en cas d'accident du travail", fait valoir un email de campagne envoyé par Lyft à ses utilisateurs.

Ce niveau de protection sociale resterait inférieur à celui auquel ont droit des salariés, mais les deux plateformes affirment, sondages à l'appui, que la plupart des chauffeurs sont très attachés à la souplesse de fonctionnement de l'appli.

Selon Lyft, 86% de ses conducteurs californiens conduisent moins de 20 heures par semaine parce qu'ils sont étudiants, retraités ou ont un autre emploi.

Si les deux groupes étaient forcés de changer leur modèle pour de bon, la tâche serait monumentale : ils devraient réimaginer leurs plateformes, embaucher des milliers de chauffeurs et des services de ressources humaines, mettre en place des emplois du temps...

"Nous aurions alors un service beaucoup plus restreint, avec des prix beaucoup plus élevés, sans doute concentré dans les centres-villes", a fait remarquer Dara Khosrowshahi, le patron d'Uber, lors d'une interview sur la chaîne MSNBC.

Charles, qui conduit des passagers à San Francisco depuis plus d'un an, voit d'un bon oeil le compromis avancé par les plateformes, mais cela ne l'empêche pas de chercher du travail salarié.

"Il semble que le business va disparaître", explique-t-il. "J'apprécie la souplesse mais c'est un boulot trop incertain et je ne m'épanouis pas".

afp/buc