La volonté affichée du gouvernement italien de peser dans la réorganisation du secteur bancaire rend la situation de plus en plus imprévisible pour les investisseurs. Il y a six mois à peine, ces derniers saluaient avec enthousiasme l'arrivée tant attendue d'une vague de consolidation.

Le blocage entre UniCredit et le gouvernement autour de l'offre publique d'échange (OPE) sur Banco Bpm résulte des conditions imposées par l'exécutif à la deuxième banque du pays. Cette dernière a récemment obtenu de la Consob une suspension de l'OPE pour 30 jours, le temps de dialoguer avec les autorités et de saisir le tribunal administratif du Latium.

L'Italie dispose de pouvoirs spéciaux dans le secteur financier, lesquels peuvent être utilisés pour protéger les intérêts de sécurité nationale. Initialement conçus pour contrer les acquisitions par des acteurs hors UE, ces outils sont désormais devenus centraux dans les opérations de fusions et acquisitions bancaires.

« Les choses ont pris une tournure totalement inattendue », constate David Benamou, directeur des investissements chez Axiom Alternative Investments, dont le fonds dédié aux banques européennes détient des positions dans plusieurs établissements italiens.

« De nombreux paramètres entrent en jeu et, lorsque la politique s'en mêle, il devient bien plus difficile d'anticiper les moteurs du marché. »

Andreas Kokkinis, professeur associé à la faculté de droit de l'Université de Birmingham et spécialiste de la gouvernance bancaire, juge « inhabituelles » les conditions imposées par Rome à l'offre d'UniCredit sur Bpm.

« C'est clairement motivé par des préoccupations d''intérêt national' et non uniquement par la stabilité financière ou la protection des clients », analyse-t-il, ajoutant que ce type d'intervention peut nuire aux actionnaires et à l'économie.

Le ministre de l'Économie, Giancarlo Giorgetti, défend le droit du gouvernement à examiner les opérations bancaires, rappelant que les États de l'UE sont responsables de leur sécurité nationale.

Le ministère n'a pas répondu immédiatement à une demande de commentaire.

Le gouvernement a été l'un des instigateurs de la récente vague d'accords, notamment en cédant en novembre une part de Monte dei Paschi di Siena. Depuis, le secteur bancaire a connu sept transactions en à peine six mois.

POLITIQUE CONTRE INTÉRÊTS FINANCIERS

La volonté politique de façonner l'architecture du secteur bancaire - motivée entre autres par la préservation de l'emploi - est répandue en Europe. Elle freine le mouvement de consolidation jugé nécessaire par banquiers et régulateurs.

L'Allemagne s'oppose aux ambitions d'UniCredit sur Commerzbank, tandis que le gouvernement espagnol voit d'un mauvais oeil l'offre de Bbva sur sa compatriote Sabadell.

L'Italie fait figure de test pour ces opérations de fusion, qui pourraient aider les banques européennes à combler l'écart de rentabilité et de valorisation avec leurs rivales américaines.

Les spéculations sur les fusions et acquisitions contribuent à maintenir les valeurs bancaires européennes proches de leurs plus hauts niveaux en 17 ans, malgré la pression à la baisse sur les profits induite par la baisse des taux d'intérêt. Les actionnaires interrogés par Reuters estiment qu'il n'existe pas d'alternative à la réduction du nombre d'acteurs.

« Notre modèle, ce sont les États-Unis », explique James Davidson, co-gérant de l'Artemis Global Income Fund, à Reuters.

« Le nombre de banques américaines a été divisé par deux au cours des 22 dernières années et nous anticipons une nouvelle division par deux. Les plus grandes banques américaines ont accru leur part de marché plus rapidement, en tirant parti de la technologie et de leur taille. »

Le gouvernement italien a sa propre vision et, depuis fin 2022, affirme vouloir utiliser la re-privatisation de Mps - qu'il avait sauvée en 2017 - pour créer un concurrent de poids face aux leaders Intesa Sanpaolo et UniCredit.

« C'est sans aucun doute complexe, mais la dynamique est claire : la politique d'un côté, ceux qui veulent gagner de l'argent de l'autre. Il faut trouver un compromis », estime Benamou.

OPPORTUNITÉS ET RISQUES

Pour atteindre ses objectifs, Rome a cédé en novembre des parts de Mps aux familles Del Vecchio et Caltagirone, également investisseurs majeurs dans Generali et son principal actionnaire Mediobanca.

Après avoir défié le Trésor avec son initiative sur Banco Bpm, le PDG d'UniCredit, Andrea Orcel, a cherché des alliés en prenant 6,7 % de Generali et en soutenant Caltagirone lors d'un vote clé chez Generali.

Fort du résultat de ce vote, Mediobanca s'efforce désormais de contrer Mps, et de résister à l'offensive de Caltagirone et Del Vecchio, via une offre sur Banca Generali, saluée par le marché.

Pour contrer l'acquisition de Mps, Mediobanca s'est tournée vers Banca Generali, qui aurait financé l'opération en cédant sa participation dans l'assureur.

Le réseau d'accords est complexe, mais pour les investisseurs, le tumulte autour des fusions et acquisitions est préférable à la stagnation qui a longtemps paralysé le secteur.

« La consolidation bancaire est arrivée, presque brutalement, après des années de lamentations sur l'absence de transactions », estime Andrea Scauri de Lemanik Asset Management. « Je vois cela positivement : cela apporte des opportunités, mais aussi des risques si l'objectif n'est pas atteint - et c'est aux investisseurs d'en juger. »

Cependant, certains craignent que les avantages d'une réduction du nombre de banques ne soient pas au rendez-vous.

« Le but du mouvement de consolidation est de renforcer les banques italiennes, mais les faiblesses de gouvernance enracinées dans les structures actionnariales et les agendas politiques potentiels risquent de compromettre ces bénéfices », prévient Guy de Blonay, gestionnaire de fonds chez Jupiter Asset Management, à Londres.

(Traduit par Claudio Leonel Piacquadio)