Les droits du football français ne seront plus contrôlés par la filiale de Vivendi à partir de la saison 2020/2021. Canal + a perdu la licence au profit d'un nouvel entrant, Mediapro. Mais cela sonne-t-il pour autant le glas de l'offre football du groupe ?
Avant d'entrer dans le vif du sujet, la perte des droits du football français, un tour d'horizon est nécessaire pour comprendre les enjeux financiers. Vivendi reste un groupe atypique dont les activités, en dépit d'une certaine cohérence liée à la convergence entre médias et contenus, continuent à afficher des dynamiques fort disparates. Certains diraient que cette situation est finalement intéressante en ce que les secteurs les moins porteurs sont compensés par ceux qui ont le vent en poupe. Mais comme le marché poursuit le doux rêve de voir l'entreprise faire feu de tous bois, la réalité est assez éloignée du fantasme.
Le périmètre a connu d'importants bouleversements ces dernières années, avec d'un côté la vente des activités télécoms SFR / GVT et du pôle jeux vidéo Activision Blizzard et de l'autre l'intégration d'Havas, la création de nouveaux pôles (Dailymotion, Vivendi Village) et un retour dans le jeu vidéo (rachat hostile réussi sur Gameloft et raté sur Ubisoft). Vivendi se présente désormais comme le holding d'Universal Music Group, Canal +, Havas, Gameloft, Dailymotion et Vivendi Village. On est loin de la Compagnie Générale des Eaux, débaptisée en 1998 par Jean-Marie Messier.
Le groupe Vivendi (copie du document de référence 2017)
En bourse, tout pour UMG
Depuis plusieurs mois, l'action est portée par la spéculation d'une entrée en bourse de la filiale musicale UMG, une affaire à plusieurs milliards d'euros (plusieurs dizaines même pour certains analystes). La division, qui a longtemps souffert des craintes liées à la numérisation des contenus musicaux, a réussi sa mue et se présente désormais comme un acteur incontournable de l'industrie, devenu indispensable aux plateformes de type Spotify ou Deezer. Mais Vivendi, c'est aussi Canal +, l'un des métiers historiques, qui a longtemps été un sanctuaire financier. Convalescent depuis plusieurs années avec l'émergence de concurrents médias (BeIN, Altice, Orange) et technologiques (les intermédiaires de type Netflix ou Amazon Prime), le groupe a du mal à maintenir ses positions. La pression s'exerce sur le cinéma et les séries bien sûr, mais avant tout sur le sport, un puissant vecteur de contrôle des abonnements.
A gauche, le chiffre d'affaires par division, à droite, le résultat opérationnel : UMG est le principal contributeur à la rentabilité (copie du document de référence 2017)
Canal + en division inférieure
Et le sport roi pour capter des clients, c'est le football. Un segment sur lequel la surface de réparation de Canal + est assiégée depuis plusieurs années, six ans environ pour être plus précis, c’est-à-dire depuis l'arrivée de BeIN Sports. Or hier, coup de tonnerre ! Canal + n'a remporté aucun des lots mis en jeu par la ligue de football professionnelle française. C'est un nouvel entrant qui a raflé les meilleurs morceaux, l'espagnol Mediapro, pour 1,15 milliard d'euros par saison pendant 4 ans (vs. 727 millions d'euros par an sur la période 2016-2020). BeIN (deux matches par journée) et Iliad (droits d'extraits et de magazine) ont eu des miettes. Résultat, l'action Vivendi chute de 3 à 4% en matinée à la Bourse de Paris le 30 mai, même si le président de la chaîne cryptée, Maxime Saada, a martelé ce matin sur Europe 1 que ce niveau de prix est "déraisonnable", estimant qu'il faudrait 7 millions d'abonnés à 15 euros par mois pour rentabiliser l'opération, l'équivalent de 5 milliards d'euros sur quatre ans, à comparer aux 4,61 milliards d'euros que va payer Mediapro et dans une moindre mesure les deux autres lauréats.
Du football quand même dans l'offre Canal ?
Evidemment, le patron de Canal + prêche pour sa paroisse et s'emploie à atténuer la déception, comme lorsqu'il affirme que peu d'abonnés ne regardent que le football dans l'offre de son groupe. Saada a aussi indiqué qu'il sera sans doute possible de discuter avec Mediapro, qui pour l'heure n'est qu'une agence sans lucarne vers le téléspectateur. Il va aussi examiner les recours juridiques possibles : après tout, l'Espagnol (contrôlé par le Chinois Hontai Capital et dont WPP détient 22,5%) a perdu en justice les droits TV de la série A italienne. En attendant, Canal +, dont le soutien au football a été salué par la LFP, va rester le principal diffuseur de la Ligue 1 jusqu'en juin 2020. Le groupe rappelle d'ailleurs que si BeIN Sports a aussi des droits de diffusion, il demeure le premier distributeur de l'offre de la chaîne qatarie, compte tenu de sa double casquette.
Faut-il se faire une montagne d'un possible Canal + sans football français ? On peut tourner le problème dans tous les sens, la situation est négative pour la filiale de Vivendi, qui les détenait depuis 1984. Au pire, elle va perdre un gros levier d'abonnement. Au mieux, elle va continuer à payer de plus en plus cher ses contenus. Pour le bureau d'études Liberum, il ne faut pas dramatiser. "Selon toute vraisemblance, Vivendi va pouvoir obtenir une sous-licence auprès de Mediapro, d'autant que le régulateur français des médias devrait s'assurer que les droits sont sous-licenciés selon le dispositif actuel", estime l'analyste Annick Maas, qui concède toutefois que le titre va être chahuté aujourd'hui.
A gauche, l'offre tarifaire actuelle de base. A droite, l'évolution des abonnés de Canal + (source : documents Vivendi)
Chez Oddo BHF, Bruno Hareng a un avis beaucoup plus tranché, car il estime que "40% des 4,9 millions d'abonnés à Canal + le sont pour le football, soit 2 millions". Il a aussi été étonné du prix payé, supérieur de 20% à ses anticipations. Pour l'analyste, le scénario le plus favorable passerait par la création d'une chaîne par Mediapro, qui serait distribuée par un Canal + jouant le rôle d'agrégateur, un peu comme avec BeIN actuellement. Le scénario de sous-licence est crédible mais il a un coût : l'inflation atteindrait 70% par rapport à la solution actuelle, estime Bruno Hareng, décomposée entre les 58% de hausse obtenus par le LFP et la marge de Mediapro. L'analyste n'hésite pas à parler de catastrophe… mais n'en reste pas moins acheteur du titre avec un objectif de 25 euros, car les autres actifs du groupe en général et de Canal + en particulier sont solides.
Vivendi SE regroupe plusieurs entreprises leaders dans la production de contenus, la communication et les médias :
- Groupe Canal+ : un des principaux opérateurs de télévision payante en France, au Benelux, en Pologne, Europe Centrale, Afrique et en Asie ;
- Lagardère : groupe d'éditions, de médias et de commerce de détail en zones de transport de voyageurs ;
- Studiocanal : acteur européen de premier plan en matière de production, d'acquisition, de distribution et de ventes internationales de films et de séries TV ;
- Havas : groupe de communication mondial organisé en trois unités opérationnelles qui couvrent l'ensemble des métiers du secteur (créativité, expertise média et santé/bien-être) ;
- Editis (activité en cours de cession) : deuxième groupe d'édition français et leader dans plusieurs domaines dont la littérature générale, la jeunesse, la pratique, l'illustré, la bande dessinée, l'éducation et la référence ;
- Prisma Media : leader en France de la presse magazine, de la vidéo en ligne et de l'audience digitale quotidienne ;
- Gameloft : un leader mondial des jeux vidéo sur mobile ;
- Vivendi Village : il rassemble la société internationale de billetterie See Tickets, le promoteur et détenteur de festivals Olympia Production (France), le détenteur de festivals U Live (Royaume Uni), les salles de spectacles parisiennes Olympia et le Théâtre de l'Oeuvre, les salles de cinéma et de spectacles CanalOlympia (Afrique), et l'agence de développement et de conseil en propriété intellectuelle The Copyrights Group ;
- Dailymotion : une des plus grandes plateformes d'agrégation et de diffusion de contenus vidéo au monde (plus de 350 millions d'utilisateurs uniques par mois) ;
- Group Vivendi Africa (GVA) : un opérateur de réseaux FTTH (Fiber to the home) en Afrique sub-saharienne.