C'est un coup d'éclat que l'on avait pas vu venir. En tout cas, pas si tôt. Et pourtant, l'annonce du lancement d'une OPA de Vivendi (-0,06% à 31,69 euros) sur Lagardère (+19,34% à 23,26 euros) ne saurait mieux tomber. En effet, d'un côté, la fin du statut particulier de commandite du groupe d'Arnaud Lagardère et les perquisitions menées cette semaine à son siège par le Parquet National Financier n'ont fait qu'affaiblir le pouvoir du dirigeant. De l'autre, l'empire médiatique de Vincent Bolloré arrive à un nouveau tournant de son histoire, avec l'introduction en bourse de sa pépite UMG.

Vivendi a fait le plein de cash...

Depuis décembre dernier, Vivendi a essayé de tirer un maximum de cette IPO en procédant à une cession fractionnée du capital de sa société de production musicale : 20% vendus à Tencent en deux fois (pour une valeur d'entreprise de 30 milliards d'euros), 10% à Pershing Square (en deux fois également, pour une VE de 35 milliards), avant une redistribution de 60% du capital à ses actionnaires le 21 septembre prochain, premier jour de cotation des titres UMG à la Bourse d'Amsterdam.

Le géant des médias aura donc empoché 9,5 milliards d'euros et, une fois l’introduction en bourse réalisée, Vincent Bolloré détiendra 18% du capital d'UMG, estimés à 5,9 milliards d'euros. Pour certains observateurs, qui s'interrogeaient déjà sur l'avenir de Vivendi sans sa principale filiale (représentant plus de 45% du chiffre d'affaires au premier semestre 2021), se posait également la question de l'utilisation de tout cet argent.

... et ne devrait pas avoir de mal à payer

L'annonce d'hier soir a donc permis de répondre en grande partie à ces inquiétudes. Vivendi a accepté de racheter la participation de 17,93% détenue dans Lagardère par le fonds Amber Capital pour un montant de 610 millions d'euros, soit 24,10 euros par action. Un prix qui fait ressortir une prime de 24% par rapport au cours de clôture d'hier soir, des multiples de cours sur bénéfices 2022-2023 estimés de 26,2x-15,1x et une capitalisation boursière de 3,4 milliards d'euros pour une dette nette 2021 estimée de 1,7 milliard, relève Invest Securities.

Par conséquent, si l'opération obtenait l'approbation des autorités, Vivendi détiendrait 45,1% du capital et 36,1% des droits de vote de Lagardère, franchissant ainsi en hausse le seuil des 30%. La réglementation l'obligerait donc à lancer une offre publique d'achat sur les actions de sa cible non encore détenues, au prix de 24,10 euros l'unité.

Le communiqué précise que si l'opération n'avait pas obtenu les autorisations réglementaires (CSA et Commission Européenne) d'ici le 15 décembre 2022, l'acquisition devra être réalisée au même prix, au profit d'un tiers substitué à Vivendi.

"Au maximum, Vivendi devrait débourser 2,5 milliards d'euros pour acquérir 72,8% du capital [de Lagardère] et consolider 1,7 milliards de dettes supplémentaires, ce qui ne devrait pas poser de question en termes de financement", compte tenu de la situation du groupe à fin juin 2021, estime Invest Securities. A la fin du premier semestre, celui-ci détenait en effet une trésorerie nette de 2,4 milliards post déconsolidation d'UMG et cession de 10% d'UMG à Pershing Square.

Une opération stratégique qui fait sens

"Rien ne dit toutefois que Vivendi cherche à récupérer 100% du capital et retirer la société de bourse, ajoute l'analyste. Tout dépendra de la position d'A. Lagardère (6,8%) et de B. Arnault (7,2%) et du Qatar (12,1%)".

Mais en dépit des craintes réglementaires que cette acquisition pourrait soulever, le groupe de Vincent Bolloré aurait (presque) tout à gagner à mettre la main sur son concurrent, alors que sa pépite s'apprête à faire cavalier seul. Car depuis de nombreuses années, l'homme d'affaires lorgne de nombreux actifs détenus par Lagardère, en particulier les médias d'influence comme la station radio Europe 1, stratégique de par ses audiences à l'approche de la présidentielle, ou encore le JDD et Paris Match pour la presse écrite.

Côté édition, Vivendi pourrait aussi marier sa filiale Editis avec Hachette, mariage qui avait déjà capoté en 2003, et ainsi créer un champion français et européen du secteur. D'autant plus que le prix d'acquisition de la branche se ferait pour un multiple de VE sur EBITDA presque deux fois inférieur à ce qui se pratique ailleurs dans le secteur, note Bank of America. L'analyste ajoute que jusqu'à 40 millions d'euros de synergies pourraient être dégagés chaque année.

Pour sa part, JPMorgan pense que "Vivendi est principalement intéressé par l'activité d'édition à l'international de Lagardère, qui contribuerait à la taille, à des synergies et à des économies à Editis". La banque d'affaires estime en outre que Vivendi chercherait probablement à vendre l'activité Travel Retail, moins stratégique pour un groupe de médias, afin de financer l'OPA.

Lagardère se montre optimiste sur l'opération

Malgré cette menace de démantèlement, le groupe d'Arnaud Lagardère ne semble pas paniquer. Au contraire, puisqu'il s'est fendu d'un communiqué estimant que "ce projet témoigne de la confiance de Vivendi dans la pertinence du modèle stratégique de Lagardère basé sur la complémentarité de ses activités et son efficacité opérationnelle. Il conforte le respect de l'intégrité du groupe Lagardère et le soutien apporté à son management".

Selon Bank of America, les investisseurs sont quant à eux déçus de l'attitude de Vivendi, qui "privilégie les fusions et acquisitions par rapport aux rachat d'actions". La banque américaine pense cependant que l'opération reste une bonne idée, et a réitéré son opinion d'Achat sur le titre du groupe coté au CAC 40, avec un objectif de cours de 39 euros, considérant la faiblesse du cours de l'action comme une opportunité d'achat accrue juste avant la scission d'UMG.

Quant à JPMorgan, bien qu'elle ait réitéré son opinion Surpondérer avec un objectif de cours de 45 euros sur Vivendi, elle s'est montrée plus prudente et estime l'approbation de l'offre par les actionnaires minoritaires de Lagardère "peu probable". Par ailleurs, l'opération ne devrait pas empêcher le groupe de Vincent Bolloré de procéder à un important rachat d'actions, écrit également la banque.

Valeurs citées dans l'article : Vivendi SE, Lagardère S.A.