Le fonds spéculatif au tableau de chasse bien garni a diffusé un rapport d’une cinquantaine de pages remettant en cause la réalité du chiffre d’affaires de SES-Imagotag via de supposées liens troubles avec son actionnaire chinois BOE. Plus globalement, la société est accusée de tromper ses actionnaires sur la profitabilité de ses activités. Comme le fonds l'avait laissé entendre, un second rapport a été publié en cette fin de semaine. 

La solide réputation du fonds, notamment grâce à la découverte de multiples malversations comptables au sein de sociétés cotées telles que Gowex ou Wirecard, a fait son effet. Dès le 23 juin, le cours de SES-Imagotag a perdu la moitié de sa valeur, soit plus d'un milliard d'EUR évaporés. Pour cause, SES est accusée de gonfler ses revenus de 7 à 13% et son EBITDA de 106% grâce à une double comptabilisation de revenus liés à son actionnaire chinois BOE.

Des accusations multiples

A la lecture de ce rapport, mais également des réponses apportées par la direction de SES, les attaques de Gotham s’émoussent et laissent apparaître de nombreuses failles.

La principale accusation de Gotham repose sur une supposée double comptabilisation de certains revenus. Le fonds explique en effet avoir obtenu dans un document en chinois la preuve d’opérations de ventes et d’achats de SES vers son actionnaire chinois BOE. Pour Gotham, aucun doute, ces opérations intragroupes ont permis de gonfler les revenus afin de respecter les prévisions communiquées par le groupe.

Les investisseurs avertis auront commencé à douter d’un tel scénario. Les comptes de SES sont audités par les cabinets KPMG et Deloitte, peu enclins à passer à côté de malversations aussi grossières. Dans ce type de dossier, l’audit du chiffre d’affaires et le retraitement des opérations intragroupes sont les principaux points d’attention des auditeurs.

De plus, ces opérations soi-disant cachées dans un rapport en chinois, font l’objet d’une mention explicite dans le rapport financier 2022.

Description parties liées

Le rapport financier mentionne les ventes pour 53,1 M$ à BOE

Dans sa réponse, la direction expose les détails opérationnels de ces opérations et met à mal l’accusation phare de Gotham City. Le groupe met également en lumière l’amateurisme des méthodes d’analyse du fonds. Dans le futur, il conviendrait pour SES-Imagotag de modifier la présentation du périmètre de sociétés consolidées afin de ne pas laisser lieu aux interprétations.

Afin de ne pas laisser de doutes dans l’esprit des investisseurs sur ce point, SES a demandé un audit de ses revenus liés à BOE. Ainsi, les auditeurs ont émis une attestation sur la neutralisation des 53,1 M€ dans les comptes consolidés au 31 décembre 2022.

Amateurisme ?

D’autres arguments de Gotham City peuvent être perçus comme, au mieux un manque de sérieux, au pire de la tromperie. Pour exemple, le fonds remet en question l’intégration globale de la joint-venture chinoise détenue à 51% par SES… alors que ce choix résulte de l’application des normes comptables en vigueur.

Le fonds semble également avoir une analyse faussée de la vente de cette participation de 51%, en accusant SES d’avoir cédé ses parts au rabais à 13,8 M€, alors même que ce montant ne correspond pas à la vente des parts mais à l’impact de l'opération sur la trésorerie du groupe. En réalité, cette vente a permis au groupe de prendre une participation de 8,9% dans YiYun Technology.

Cession joint venture BOE SES

Contexte de cession de la participation dans la JV par SES

Le second cheval de bataille de Gotham City est la remise en cause de la communication de la société. Le fonds démontre que SES n’effectue pas 15% de ses revenus dans les solutions logiciels, dites "SaaS". L'analyse est bonne cette fois, étant donné que la société ne revendique pas ce niveau de revenus "SaaS".

Gotham City a en effet perçu la séparation de l’activité "ESL", soit les étiquettes électroniques et des activités VAS, regroupant les autres activités telles que les services, la maintenance et les solutions logicielles. L’ensemble des activités non-ESL représentent bien 15% des revenus, et non uniquement les solutions logicielles, en ligne avec les déclarations du groupe.

Afin de remettre en cause la réalité des activités s’apparentant à des solutions logicielles (SaaS), Gotham City multiplie les arguments peu crédibles, de l’interprétation d’avis Google Play sur une application destinée au BtoB, à l’analyse du trafic sur une URL non détenue par SES jusque l’utilisation des normes de présentation des effectifs dans les annexes comptables (où seul le statut employé ou cadre est présenté, sans détails du poste occupé) pour conclure à l’absence de développeurs et d’ingénieurs et donc de solutions logicielles. Tous ces arguments sont balayés par la direction, ne laissant que peu de doute sur la qualité des analyses de Gotham City sur le dossier.

Fin de match ou mi-temps ?

Pour finir, le rapport présente le contrat majeur signé entre SES et Walmart fin avril, comme un sacrifice des marges et une perte future pour le groupe. Sur ce point, le groupe remet évidemment en cause cette analyse. Contrairement aux points précédents, il est difficile de se prononcer sur les retombées économiques réelles de ce contrat, il conviendra donc d’attendre les prochaines publications afin d'en mesurer l’impact sur la rentabilité de SES-Imagotag.

Ce rapport, consistant et argumenté de prime abord s’avère bien fade. Le fonds slalome entre analyse douteuse et erreurs de compréhension et laisse un arrière-goût d’amateurisme, d’autant plus suite au droit de réponse de la direction de SES-Imagotag.

Encore du chemin à parcourir
Encore du chemin à parcourir

Un second rapport

Une suite a donc été publiée en cette fin de semaine. La direction de la société n'y a pas encore répondu. A chaud, il apparaît qu'il lui faudra détailler la question des parties liées, notamment vis à vis de la transparence des conventions réglementées. La problématique de l'indépendance du conseil d'administration mérite sans doute aussi une réponse. La partie sur les irrégularités comptables est plus fourre-tout : en première lecture, la plupart des accusations se basent sur des erreurs dans la version en anglais du rapport annuel, corrigées dans la version française. C'est probablement les auditeurs qui ont fait ces demandes de modifications, puisque seuls les comptes en français sont signés, donc la version anglaise ne fait pas foi. 

La réaction du marché à ce second rapport est sans équivoque : le titre explose à la hausse, pour revenir à 124,80 EUR, sur un bond de plus de 40%.