Premier cabinet de conseil indépendant sur le marché français, Wavestone, ex-Solucom, a énormément grandi ces dernières années. L’intégration réussie de Kurt Salmon Europe, racheté fin 2015, y est pour beaucoup. Alors que le marché ralentit, Pascal Imbert, polytechnicien, fondateur du cabinet il y a 30 ans, nous partage sa vision de l’entreprise et de son marché à court et moyen terme.

Pascal Imbert, Wavestone vient de publier des résultats 2018/19 records et plutôt supérieurs aux attentes, et pourtant le cours de Bourse perdu près de 50% en 1 an. Comment l’expliquez-vous ?
"Nous livrons un message prudent depuis la fin 2018, après avoir connu trois années excellentes pour le marché du conseil. A l’opposé, il y a un an, les valeurs moyennes, et en particulier Wavestone, suscitaient un très fort enthousiasme. Nous avions alors démontré que l’acquisition de Kurt Salmon était un succès. Aujourd’hui, le marché du conseil est en train de reprendre sa respiration".

Cela ne vous empêche pas de faire le pari de la croissance, avec 800 personnes recrutées en 2018/19, contre 600 initialement prévus ?"
"Les fondamentaux de notre marché restent solides, avec des besoins de transformation digitale toujours présents, mais pendant un ou deux ans il devrait y avoir moins de traction, plus d’incertitude et d’attentisme. C’est dans ces périodes-là que nous pouvons faire la différence, comme ce fut le cas sur la période 2009-2010 dont nous sommes ressortis gagnants au redémarrage en 2011-12. Nous allons donc continuer de construire nos équipes afin de reconstituer un potentiel de croissance que l’on pourra ensuite assez rapidement exploiter. Aujourd’hui, nous sommes en phase d’adaptation mais nous comptons bien tirer notre épingle du jeu quand le marché sera mieux orienté. C’est dans ce contexte que nous avons annoncé viser prudemment une croissance supérieure à 5% cette année et une marge opérationnelle supérieure à 13%, contre 14,1% réalisés à mars 2019".

Les objectifs du plan 2021, à savoir 500 M€ de CA et 15% de marge opérationnelle, sont-ils tenables ?
"Dans ce contexte de marché, le déroulement de notre plan devient effectivement un peu plus tendu, mais nous restons en mesure d’atteindre complètement ces objectifs. Nous avions quelques marges de sécurité que nous avons grignoté, surtout en termes de croissance. Nous avons dû intensifier notre effort commercial ces derniers mois afin de regarnir notre carnet de commande et d’améliorer notre taux d’activité. Wavestone va en parallèle veiller à orienter son effort vers les secteurs d’activité les plus porteurs, tels que le secteur public, le transport, ou encore le secteur énergie-utilities. Par ailleurs, nous cherchons à acquérir 50 à 60 M€ de CA, dans des conditions de prix raisonnables, ce qui est actuellement compliqué et freine notre croissance. Notre plan 2021 prévoit que nous réalisions 20% de notre activité à l’international, contre 12% à fin mars. Notre priorité se situe aux Etats-Unis, où nous réalisons 7 M$ de CA seulement, mais avec une croissance de 28% que nous souhaitons accélérer en rachetant de petits cabinets. Nous souhaitons leur apporter un effet taille avec une offre enrichie et internationale afin de leur permettre de se faire une place à coté des géants du conseil. La dimension technologique de Wavestone constitue un atout clé outre-Atlantique où le conseil en management et le conseil en technologie sont plus intégrés qu’en Europe. En ce qui concerne la marge opérationnelle à horizon 2021, les sujets sont bien identifiés. Les 14,1% de profitabilité de 2018/2019 ont été atteints alors que nous n’étions pas dans des conditions optimales de taux d’activité. Or, ce taux peut remonter de 2/3 points dans les deux années qui viennent, ce qui correspond peu ou prou à 2/3 points de marge opérationnelle.  D’ici là, nous devons passer par cette phase d’adaptation à un marché moins porteur".
 

Le plan 2021 (Source présentation société mai 2019 - Cliquer pour agrandir)
 
Si l’on se projette à plus long terme, comptez-vous renouveler une acquisition structurante à l’image de Kurt Salmon fin 2015 ?
"Clairement ! Cependant, cela implique de se retrouver dans une configuration de marché semblable, c’est-à-dire en début de cycle de croissance du marché. Plutôt dans deux ans ou un peu plus tard donc".

Quelle est votre vision des fondamentaux du marché du conseil ?
"Notre marché va continuer de croître plus vite que le PIB, car les entreprises grossissent, engendrant de la complexité qu’il faut gérer. Les transformations s’accélèrent, et les managers ont besoin de sécuriser la façon dont elles s’opèrent. Dans les menaces qui pourraient contrarier le conseil externe, l’internalisation du conseil a pris des parts de marché il y a quelques années mais a trouvé ses limites, notamment car le conseil externe apporte un regard extérieur et des compétences plus pointues. L’autre menace, qui a toute notre attention, se situe dans la tendance naissante à l’ubérisation du conseil et au freelancing. Un cabinet structuré comme Wavestone doit apporter une proposition de valeur différente. Au fond, je reste convaincu qu’il y a de la place pour tout le monde sur le marché pour peu que nous continuions à nous démarquer".
 

La clientèle et les secteurs d'activité de Wavestone (Source présentation société mai 2019 - Cliquer pour agrandir)

Vous semblez parvenir assez facilement à recruter, ce qui constitue un atout majeur dans votre secteur à l’heure actuel. Wavestone se situe dans les hauts de classement des entreprises où il fait bon travailler. Pourquoi ?
"Il y a plusieurs raisons. Tout d’abord, Wavestone est très attractif car en pointe sur la technologie, notamment sur la transformation digitale. Par ailleurs, notre promesse employeur est forte. Nous veillons à donner du sens à nos missions, ce à quoi nos consultants sont de plus en plus attentifs. Nous essayons d’être responsables vis-à-vis de nos collaborateurs et nos clients, du monde associatif et plus globalement de la société civile. Nous ne sommes pas prêts à prendre n’importe quelle mission et cherchons à éclairer nos clients sur l’impact environnemental et social de telle ou telle décision. Mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire et notre plan 2021 intègre l’objectif de rester dans le top 3 de notre catégorie en matière de RSE. Cela passera par exemple par des progrès en matière d’intégration du handicap. J’ajouterais enfin une culture d’entreprise peu présente dans les cabinets de conseil où le ‘ up or out ’ prédomine. Chez Wavestone, l’organisation est très plate et nous cultivons l’esprit d’équipe et nous privilégions le succès collectif à la mise en valeur de ‘stars’ …".

L'auteur est actionnaire de la société à titre personnel.