Un an après son arrivée à Downing Street, qui a mis fin à 14 années de gouvernement conservateur, Keir Starmer concrétise son ambition de “réinitialiser” les relations avec l’UE. Pro-européen assumé et opposant au Brexit en 2016, il ne surprend personne en voulant retisser les liens. En juillet, à peine deux semaines après son entrée en fonction, il avait donné le ton en invitant 40 dirigeants européens outre-Manche.
Un virage stratégique
Le sommet du 19 mai marque une première depuis la sortie officielle du Royaume-Uni de l’UE. Ce rapprochement ne doit rien au hasard : affaiblis par des défis économiques de plus en plus nombreux, Londres comme Bruxelles ont tout intérêt à resserrer les rangs. Face aux défis communs : soutien à l’Ukraine, lutte contre l’immigration illégale, construction d’une défense européenne autonome, les deux partenaires cherchent désormais des terrains d’entente.
Des accords concrets
Un accord bilatéral a été signé hier. Le différend sur la pêche dans la Manche est enfin clos. Les pêcheurs européens conserveront l’accès aux eaux britanniques jusqu’en 2038, contre 2026 auparavant. En échange, le Royaume-Uni alignera ses normes sanitaires sur celles de l’UE, facilitant ainsi l’exportation de ses produits alimentaires. La suppression de la majorité des formalités douanières sur les produits animaux et végétaux est une victoire pour le gouvernement travailliste.
Autre avancée majeure : un accord de défense aux retombées économiques potentielles pour Londres. Le Royaume-Uni pourrait accéder au futur programme européen de 150 milliards d’euros destiné à renforcer la base industrielle de défense de l’UE. Mais cette participation reste conditionnée à un accord complémentaire, ainsi qu’à une contribution financière britannique dont les contours restent à définir.
Les deux parties ont aussi acté une coopération sur les quotas d’émissions carbone, permettant aux entreprises britanniques d’éviter la taxe carbone européenne. Downing Street évoque un gain potentiel de 9 milliards de livres (environ 10,7 milliards d’euros) pour l’économie d’ici 2040.
Équilibre instable
Ce virage pro-européen n’est pas sans risques politiques pour Starmer. À mesure que les liens se resserrent avec Bruxelles, les brexiteurs grondent. Reform UK, héritier du Parti du Brexit, ne dispose que de quelques sièges au Parlement, mais enregistre des scores notables lors des élections locales. Nigel Farage avait même devancé Starmer dans les enquêtes de popularités en octobre dernier, avant un léger redressement de ce dernier.
C’est cette pression politique nationale qui empêche Keir Starmer d’appliquer son agenda comme il l’entend. Par exemple, un possible retour du Royaume-Uni dans le programme Erasmus était au programme. Le sujet fera l’objet de discussions ultérieures, alors que les frontières sont un sujet glissant à Londres.
Hors de question également de céder sur le marché commun et l’union douanière. On se contentera d’une normalisation des relations.
Il doit aussi ménager le président américain Donald Trump, avec qui il rêve de conclure un grand traité bilatéral de libre-échange, et qui ne cache pas son inimitié avec l'Union européenne.
Des zones d’ombre
Tout n’a pas été réglé. Le nombre de visas pour les jeunes étrangers souhaitant étudier ou travailler au Royaume-Uni reste flou. Autre promesse en suspens : la reconnaissance des qualifications professionnelles britanniques dans l’UE, un enjeu clé pour les entreprises souhaitant opérer des missions de courte durée sur le continent. À ce stade, les discussions sont renvoyées à des “dialogues dédiés”.
Plusieurs avantages promis par l’accord pourraient aussi nécessiter une “contribution financière” du Royaume-Uni, notamment pour alléger les contrôles sur les exportations alimentaires. Aucun chiffre n’a été communiqué à ce sujet.
Un pari risqué
Keir Starmer avance en terrain miné. Il veut relancer la compétitivité britannique tout en répondant à un électorat de plus en plus conservateur. Là où Reform UK joue la carte de la fierté nationale, Starmer cherche à conclure des accords commerciaux : après les États-Unis, le Royaume-Uni s’est rapproché de l’Inde, et des négociations ont été engagées avec six pays du Golfe, selon la chancelière Rachel Reeves. Il soigne ses relations avec les dirigeants internationaux, notamment Mark Carney qui avait déclaré il y a quelques semaines : “Nous sommes tous deux déterminés à renforcer les relations commerciales, sécuritaires et économiques entre le Canada et le Royaume-Uni”.
Mais les critiques pleuvent. Richard Tice, vice-président de Reform UK, accuse le gouvernement d’avoir “capitulé” devant Bruxelles. Même ton du côté conservateur : “Nous redevenons soumis aux règles de Bruxelles”, dénonce Kemi Badenoch, cheffe de l’opposition.
Entre ambitions économiques, pression des alliés et colère des brexiteurs, Keir Starmer marche sur un fil. Le réchauffement avec l’UE est amorcé, mais sa consolidation s’annonce délicate.