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L'appel à des "garanties" pour Moscou irrite en Ukraine et
en
Europe de l'Est
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Macron fragilise son propre projet pour l'Europe, disent
ses
détracteurs
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Macron pose clairement les bonnes questions et consulte
l'Ukraine, disent ses partisans
par John Irish et Michel Rose
PARIS, 8 décembre (Reuters) - Lorsque les ministres des
Affaires étrangères des 30 pays membres de l'Otan se sont réunis
fin novembre à Bucarest pour réaffirmer et accentuer le soutien
de l'alliance à l'Ukraine et aux pays de la région se sentant
menacés par la Russie, une absence a été remarquée: celle de la
France.
La cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna,
accompagnait le président Emmanuel Macron lors de sa visite
d'Etat aux Etats-Unis. Le secrétaire d'Etat américain, Antony
Blinken, était lui pourtant bien présent à Bucarest.
Pour ses alliés européens, notamment les pays les plus
proches de la Russie, cette absence de la ministre française a
fourni un motif supplémentaire d'interrogations quant à la
position de la France au sujet du conflit en Ukraine, quitte à
la percevoir comme un possible maillon faible dans l'alliance
occidentale soutenant Kyiv face à Moscou.
Deux jours après cette réunion à Bucarest, Emmanuel Macron a
donné plusieurs interviews à des médias français et américains
dans lesquelles il a donné le sentiment de délivrer des messages
contradictoires sur l'Ukraine, ajoutant à l'exaspération de plus
en plus ouvertement exprimée dans certaines capitales d'Europe
de l'Est.
Tout en réaffirmant qu'il revenait à l'Ukraine de choisir le
moment de négocier avec la Russie, le président français a une
nouvelle fois jugé qu'il faudrait apporter des "garanties de
sécurité" à Moscou lorsque viendrait le moment de ces
négociations. L'agence de presse russe TASS a relayé ces propos
sur Twitter.
"Putain, mais c'est pas vrai!", a réagi sur Twitter l'ancien
président estonien Toomas Ilves, traduisant un sentiment
largement partagé parmi de nombreux alliés est-européens de la
France.
La réaction de l'Ukraine a été rapide et sans équivoque.
Mikhaïlo Podoliak, le directeur de cabinet du président
Volodimir Zelensky, a répondu que le monde avait besoin de
garanties de sécurité vis-à-vis de la Russie, et non l'inverse.
Avec ses déclarations, Emmanuel Macron a suscité de la
colère et une forme d'inquiétude parmi les pays d'Europe de
l'Est et baltes, malgré l'aide militaire et financière
substantielle fournie par la France à l'Ukraine, disent des
diplomates et d'anciens responsables politiques.
Ce positionnement français fragilise en outre le propre
projet politique d'Emmanuel Macron visant à doter l'Europe d'une
"autonomie stratégique", en confortant les pays d'Europe de
l'Est dans leur volonté de privilégier la protection des
Etats-Unis pour leur propre sécurité.
D'après un diplomate est-européen, Emmanuel Macron a déjà
"mal interprété" la Russie une fois et la crainte est désormais
que cela se reproduise.
Interrogé par les journalistes sur les critiques ayant suivi
ses dernières déclarations au sujet de la Russie, Emmanuel
Macron a répondu mardi à son arrivée à un sommet UE-Balkans
occidentaux en Albanie : "Il ne faut pas faire de grand cas et
essayer de faire des polémiques là où il n'y en a pas."
"J'ai toujours dit la même chose, c'est-à-dire qu'à la fin,
dans les discussions de paix, il y aura des sujets territoriaux
sur l'Ukraine et ils appartiennent aux Ukrainiens, il y aura des
sujets de sécurité collective sur toute la région", a-t-il
ajouté.
L'Elysée n'a pas répondu dans l'immédiat aux sollicitations
de Reuters à ce sujet.
NE JAMAIS DIRE TOUT CE QU'ON PENSE
Des diplomates français et des représentants de la
présidence de la République soulignent que la France n'a jamais
hésité à apporter une aide politique, militaire et humanitaire à
l'Ukraine et qu'Emmanuel Macron a toujours pris soin de
consulter Volodimir Zelensky avant de s'entretenir avec son
homologue russe Vladimir Poutine.
Une certaine irritation est néanmoins aussi perceptible
parmi les plus proches alliés occidentaux de la France à la
suite de ces déclarations sur les "garanties de sécurité" à
apporter à la Russie, dont l'invasion de l'Ukraine a fait des
dizaines de milliers de morts, réduit des villes à l'état de
ruines et condamné des millions d'habitants au froid et à
l'obscurité à l'approche de l'hiver.
"En politique étrangère, on ne dit jamais publiquement tout
ce qu'on pense. Avoir raison ne suffit pas. Il faut aussi le
dire au bon moment sinon on risque d'atteindre le résultat
opposé au recherché. Je dis ça à tout hasard... Soupir", a
récemment écrit sur Twitter l'ancien ambassadeur de France aux
Etats-Unis Gérard Araud, sans citer le nom d'Emmanuel Macron.
Les critiques récentes contre Paris sont d'autant plus
frustrantes pour la diplomatie française qu'Emmanuel Macron
s'était efforcé de recalibrer son message, après avoir déjà
provoqué la colère à Kyiv et dans d'autres capitales d'Europe
orientale en affirmant au printemps qu'il ne fallait pas
"humilier" la Russie.
Le président français a ainsi prononcé en septembre à la
tribune de l'Assemblée générale des Nations unies un discours
largement salué, dans lequel il exhortait les pays non-alignés à
sortir de leur silence sur l'Ukraine sous peine de servir "avec
une certaine complicité la cause d'un nouvel impérialisme".
La France a aussi intensifié ses livraisons d'armes à
l'Ukraine et l'a davantage fait savoir.
SAISIR LES BONS MOMENTS
D'une certaine manière, l'exercice d'équilibrisme auquel
semble se livrer Emmanuel Macron n'est guère surprenant.
Depuis sa première élection en 2017, la politique étrangère
du président de la République consiste à lancer des initiatives
et à essayer de bousculer les choses. A ses yeux, ses
déclarations en 2019 sur une Otan en état de "mort cérébrale"
ont davantage stimulé le débat au sein de l'alliance que suscité
le malaise.
Emmanuel Macron revient rarement sur ses déclarations
passées. Il s'efforce d'expliquer, de convaincre et de prouver
ses succès sur la scène internationale, disent ses
collaborateurs, qui saluent son énergie, sa volonté de se
frotter à des questions complexes et sa capacité à saisir les
bons moments.
Un nombre croissant de critiques et d'alliés considèrent
cependant la Russie comme sa principale erreur sur le terrain
diplomatique.
Ils relèvent ainsi ses réserves face à l'évocation d'une
défaite militaire pure et simple de la Russie, dont l'armée
recule sur le terrain depuis le début d'une contre-offensive
ukrainienne à la fin de l'été.
Si, pour les anciens pays satellites de l'Union soviétique
en Europe de l'Est, la Russie doit être clairement vaincue afin
qu'elle ne constitue plus une menace, le président français
considère pour sa part qu'une éventuelle défaite russe doit être
gérée avec finesse.
Cela renvoie à une vision largement répandue en France -
mais contestée ailleurs - selon laquelle les lourdes sanctions
financières et territoriales imposées à l'Allemagne à l'issue de
la Première Guerre mondiale dans le cadre du Traité de
Versailles ont servi de germes à un ressentiment allemand et à
la Deuxième Guerre mondiale 20 ans plus tard.
Certains diplomates d'Europe de l'Est craignent pour leur
part que Vladimir Poutine, qui considère les Etats-Unis comme la
seule véritable puissance du camp occidental, ne se serve tout
simplement d'Emmanuel Macron pour créer des dissensions au sein
de l'Otan et exploiter la moindre division franco-allemande.
Un haut diplomate russe a salué chez Emmanuel Macron une
vision et une volonté de préserver les futures relations entre
la Russie et la France, là où d'autres veulent manifestement
rompre tous les liens.
Dès les premiers jours de sa présidence en 2017, Emmanuel
Macron, désireux de relancer un dialogue stratégique avec la
Russie, a reçu Vladimir Poutine au château de Versailles. Si le
faste de cette rencontre a flatté le président russe, elle n'a
débouché sur aucune avancée substantielle.
Quand la France était présidente du Conseil de l'Union
européenne au premier semestre de cette année, le président de
la République a tenu à maintenir les canaux de communication
ouverts avec Vladimir Poutine, et encore récemment en vue de la
création d'une éventuelle zone de sécurité autour de la centrale
nucléaire de Zaporijjia, dont les abords sont fréquemment
bombardés.
Là encore sans résultats tangibles.
Avant de se rendre à Washington, Emmanuel Macron avait dit
qu'il parlerait "dans les prochains jours" avec son homologue
russe. Cet entretien n'a officiellement pas encore eu lieu.
(Reportage John Irish et Michel Rose, version française
Bertrand Boucey, édité par Tangi Salaün)