Les gros groupes fourre-tout ne sont plus en odeur de sainteté sur les marchés. Il reste des conglomérats cotés, mais beaucoup ont déjà sauté le pas de la scission. Sur la période récente, on peut citer General Electric, avec GE Vernova, GE Aerospace et GE Healthcare. Ou encore Vivendi, éparpillé entre Havas, Louis Hachette ou Canal+, après avoir déjà détaché Universal Music Group quelques années en arrière.

Le conglomérat, c'est le mal absolu

Il y a quelques décennies, être exposé à de multiples secteurs était considéré comme un signe d'ambition, de solidité et de contracyclicité. Mais au fil du temps, les marchés financiers sont devenus moins friands de ces grandes organisations souffrant de frais de structure élevés et de l'absence de synergies entre leurs différentes activités. En langage financier, on parle d'une décote de conglomérat, c'est-à-dire une valorisation boursière inférieure à la somme des parties. Autrement dit, si l’on découpait le groupe en morceaux bien distincts, chaque bout vaudrait plus cher que l’ensemble... D'où un vaste mouvement de course vers la simplification, avec la glorification du "pure player", c’est-à-dire de l'entreprise qui excelle dans son métier sans être dissipée par des activités annexes.

Les esprits taquins pourraient rétorquer que de nouveaux conglomérats ont remplacé les anciens, et ils n'auraient pas tort : Amazon est un commerçant, une place de marché, un logisticien, un hébergeur et un fournisseur de solutions technologiques. Ils n'auraient pas tort, même si en l'espèce, il existe des synergies évidentes entre toutes ces activités. Le conglomérat honni du moment est plutôt à chercher du côté des secteurs traditionnels.

Une bonne affaire pour l'actionnaire, vraiment ?

RBC Capital Markets a calculé en 2024 qu'un panier de 12 spinoffs industriels a progressé d'environ 50% au cours de l'année qui a suivi leur création, soit près de deux fois la performance d'un indice de valeurs industrielles américaines sur la même période. Pour autant, l'ETF Spinoff d'Invesco, centré sur les entreprises du S&P 500 qui ont détaché certaines divisions pour les faire coter, est à la traîne par rapport au S&P 500 sur 10 ans. Il est vrai que les scissions interviennent généralement dans le secteur industriel, qui a sousperformé le secteur technologique sur la dernière décennie. Sur les trois dernières années en revanche, l'ETF Spinoff dépasse la performance du S&P 500, comme l'illustre le graphique qui suit :

ETF

La composition de l'ETF (30 positions) donne une idée des dernières opérations de scission sur les grandes entreprises américaines. 

Quels sont les groupes qui devraient lancer une scission ou qui font l'objet de rumeurs à ce propos ?

  • Galapagos (Pays-Bas, 1,6 Md$ de capitalisation) : la biotech belge cotée à Amsterdam a prévu de se couper en deux autour de la mi-2025, avec deux entreprises cotées sur Euronext. Galapagos conservera son portefeuille de produits en se concentrant sur ses plates-formes de thérapie cellulaire, tandis que la nouvelle entité dont le nom n'est pas encore connu se concentrera sur les activités de R&D. Gilead, l'actionnaire américain, conservera 25% dans chacune des entreprises. Jadis star de la biotech européenne, Galapagos a chuté de son piédestal après l'échec de son traitement expérimental contre la polyarthrite rhumatoïde. Le cours a été divisé par 9 depuis le pic de 2020.
  • ThyssenKrupp (Allemagne, 2,7 Mds$ de capitalisation) : l'ancien conglomérat a déjà commencé à être détricoté. La filiale électrolyseurs a déjà été scindée sous le nom de ThyssenKrupp Nucera. Auparavant, les ascenseurs avaient filé chez Advent et Cinven. Dernièrement, c'est la branche navale TKMS qui suscite l'attention. L'Allemand hésite encore entre une scission et une cession. Les dernières rumeurs faisaient état d'un intérêt de Deutz. Il y a quelques semaines, le fonds Carlyle avait rôdé autour du fabricant de navires de guerre, avant de renoncer.
  • Embracer (Suède, 4,1 Mds$ de capitalisation) : le spécialiste des jeux a annoncé il y a plusieurs mois son souhait de se scinder en trois entités cotées. Embracer prévoit notamment de faire du spécialiste des jeux de plateaux et de cartes Asmodée une division indépendante. Le Suédois avait racheté Asmodée à PAI Partners sur la base d'une valorisation de 2,7 Mds€ en 2021. PAI tenait la société d'Eurazeo, après un rachat pour 565 M€. Et en remontant encore, c'est Montefiore qui avait cédé Asmodée à Eurazeo en 2014 pour 120 M€. Si les trois fonds ont réalisé d'énormes bascules, Embracer ne peut pas en dire autant.
  • Smiths Group (UK, 7,8 Mds$ de capitalisation) : l'investisseur activiste américain Engine Capital, qui détient environ 2% du tour de table, fait pression pour la vente de certains actifs du groupe, connu notamment pour son matériel de contrôle des bagages et ses détecteurs d'explosifs ou sa division étanchéité américaine, John Crane. Smith avait déjà par le passé cédé des actifs importants, comme sa division médicale valorisée 2,3 Mds$ en 2021, mais n'est jamais allé jusqu'à une scission.
  • Continental (Allemagne, 14 Mds$ de capitalisation) : la scission du groupe allemand est un serpent de mer des marchés. Mais le management a acté dernièrement la cotation de son unité automobile à la bourse de Francfort d'ici à la fin de 2025 et a indiqué que sa branche Original Equipment Solutions (OESL), qui fournit des produits en caoutchouc aux constructeurs automobiles, deviendra indépendante "dans un avenir proche", mais par voie de cession.
  • Hexagon (Suède, 28 Md$ de capitalisation) : l'électronicien suédois, présent notamment dans la métrologie, a prévu de scinder sa division ALI (Asset Lifecycle Intelligence) renforcée de quelques autres actifs (ETQ, Bricsys…), qui pourrait être cotée à la fois aux Etats-Unis et en Suède. Cette entité serait centrée sur les logiciels de gestion de la performance, tandis qu'Hexagon conserverait les solutions de mesure de la précision et de simulation d'ingénierie. Le processus devrait aboutir cette année, s'il va à son terme.
  • DuPont (USA, 33 Mds$ de capitalisation) : le chimiste a annoncé en mai 2025 son intention de se scinder en trois sociétés cotées : électronique, eau et industrie. Le nouveau DuPont sera composé des activités existantes dans la protection, des solutions industrielles (dont les soins de santé) et des activités conservées dans le segment des entreprises (dont les adhésifs). La société électronique sera principalement composée des technologies de semi-conducteurs et des solutions d'interconnexion existantes. La 3e entité comprendrait l'eau. Toutefois, DuPont a annoncé début 2025 que la division eau restera au sein du groupe principal. Le projet est donc désormais une séparation par cotation de la division électronique.
  • Holcim (Suisse, 55 Mds$ de capitalisation) : le cimentier a annoncé publiquement son souhait de scinder sa division nord-américaine. L'entité sera totalement distincte et cotée à New York (et à Zurich à titre subsidiaire). Holcim USA pourrait être valorisée 30 Mds$. Les actionnaires du groupe suisse doivent encore l'avaliser le 14 mai prochain.
  • Fedex (USA, 66 Mds$ de capitalisation) : le logisticien a fait part en décembre 2024 de sa volonté de scinder sa branche de transport par camion, Fedex Freight, concurrente de XPO ou de Old Dominion. Une valorisation de 30 à 35 Mds$ a circulé. L'opération devait prendre jusqu'à 18 mois, si bien qu'il n'est pas sûr qu'elle interviendra cette année.
  • Honeywell (USA, 146 Mds$ de capitalisation) : l'industriel américain subit la pression du plus influent des investisseurs activistes en faveur d'une scission. Elliott, dont la participation dépasse 5 Mds$ au sein du conglomérat, a ouvert le dialogue avec le management il y a plusieurs mois. Dernièrement, Honeywell a annoncé examiner plusieurs options, en particulier une séparation potentielle de son activité aérospatiale. Le groupe avait déjà été chahuté par un célèbre activiste par le passé : en 2017, Third Point, le fonds de Daniel Loeb, militait déjà pour une scission de la branche… aéronautique.