75 millions d’euros, c’est l’amende record requise par l’AMF, le gendarme des marchés financiers français, à l’encontre de H20 asset management, pour avoir trompé ses investisseurs. Outre cette amende, l’AMF s’est aussi prononcée en faveur d’un bannissement de Bruno Crastes, l’ancien patron de la maison, du secteur de l'investissement pendant 10 ans, d’une amende de 15 millions à son encontre, et d’une pénalité de 3 millions d'euros pour le directeur des investissements du gestionnaire d'actifs, Vincent Chailley. Une coquette somme de 93 millions d’euros, qui dépasse de loin les provisions faites par H20 AM pour couvrir le litige en cours. 

Nous avons eu l’opportunité d’échanger avec Gérard Maurin, le fondateur du collectif qui représente les porteurs de parts des fonds H20, pour recueillir son sentiment sur la situation, les recommandations de l’AMF et l’issue de l’affaire. 

L’association compte à ce jour un peu plus de 2000 membres : particuliers, CGP et clients de CGP, professionnels de l’investissement (d’autres sociétés de gestion), ainsi que quelques institutionnels (fonds de pension, banques françaises et compagnies d’assurance). Ces porteurs viennent de France mais aussi d’Italie, de Suisse ou encore d’Asie.

Tous ces demandeurs partagent un point commun : ils ont tous de l'argent bloqué et potentiellement perdu avec H20, et ils nous font confiance. L’union fait la force, donc plus nous sommes nombreux, plus il est facile de faire bouger les choses”, commence ainsi Gérard Maurin. J’ai fondé ce collectif avec un objectif simple : récupérer les sommes bloquées. Il s'agit de mon argent, celui de mes clients, des mes confrères et de mes amis”, poursuit mon interlocuteur, ancien ingénieur reconverti dans la gestion d’actifs puis dans le conseil patrimonial. 

De combien d’argent parle-t-on exactement ? “Aujourd'hui, les sommes bloquées représentent entre 60 et 70 millions d’euros, auxquelles il faut ajouter le préjudice et le manque à gagner, car il s’agit d’argent qui a été bloqué depuis deux ans, au pire moment parce que les marchés étaient au plus bas. On serait donc autour de 100 millions d’euros pour l’ensemble pertes, préjudices, et dommages et intérêts”, précise-t-il. Ces sommes étaient réparties dans les 6 fonds commercialisés par H20 AM, du plus prudent (Adagio) au plus risqué (Allegro). 

Gérard Maurin n’est pas un homme en colère. Il confie chercher uniquement justice et réparation, mais pas de vendetta personnelle. “Je pense que de vraies fautes ont été commises, on s'est faits tromper par une communication qui a été mensongère et je pense que si on ne fait rien, ces side-pockets ne seront jamais remboursées. Il nous faut donc agir en justice”, explique-t-il. 

Il a aussi pour mission de faire connaître le collectif au plus grand nombre. “Il n'y a pas de class action en France, en tout cas sur des sujets financiers. Le seul collectif qui existe dans l’affaire est le nôtre, il faut donc le rejoindre pour être défendu”. L’association fermera ses portes le 15 janvier prochain, après quoi, il ne sera plus possible aux plaignants de requérir une indemnisation. 

La situation est complexe, d’abord en termes de territorialité : les fonds sont de droit français, la société de droit anglais. Bruno Crastes, lui, réside à Monaco. Mais le CGP reste confiant. ”L’expertise que nous avons diligentée a permis de récupérer énormément d'informations et de pièces : 4000 emails, 5000 ou 6000 éléments relatant  toutes les opérations, tous les investissements et désinvestissements qui ont été faits sur ces dettes privées, les caractéristiques de chaque opération”. De quoi appuyer le dossier en justice, et informer les membres des avancées du collectif. 

C’est l’avocat Dominique Stucki et son équipe qui seront chargés de porter les accusations du collectif au tribunal, au printemps 2023. Deminor, spécialiste des assignations en justice pour le compte de tiers, assiste le collectif et finance les opérations. 

Au-delà des sommes bloquées, Gérard Maurin confesse le préjudice pour les professionnels de l’investissement qui ont conseillé les fonds H20 à leurs clients “Toute cette affaire gêne beaucoup, dans les contrats assurance vie, il y a des choses qui sont bloquées, on ne peut pas arbitrer. C’est un vrai préjudice pour gérer les contrats”. Y avait-il une autre issue que de porter l’action devant la cour ? “Tous ces actifs, dans les side pockets, sont illiquides, mais, en plus, ils sont invendables. Donc ça veut dire qu'on ne récupérera rien”, m'oppose-t-il. 

Il salue également le travail de l’AMF, limpide, mais reste lucide “L'amende proposée par l’AMF ne servira pas d’indemnisation pour les porteurs. Nous devons donc agir de notre côté”. 

A mes questions sur la stratégie d’attaque du collectif, mon interlocuteur botte en touche, il n’est pas autorisé à m’en dévoiler les coulisses. Idem pour la stratégie de défense d’H20, qu’il ne connaît pas. Enfin, je l’interroge sur les liens potentiels entre Bruno Crastes et Lars Windhorst, dont le passé était déjà sulfureux “La seule chose qui me semble évidente en tant qu’ancien gérant, c'est que tous ces investissements ne peuvent pas s'expliquer uniquement par une recherche de rentabilité financière. C'était que des émissions obligataires avec des rendements entre 6 et 7% pour un risque qui était énorme sur des sociétés totalement opaques qui n'étaient pas notées, certaines qui étaient en création, d'autres étaient dans une situation financière extrêmement compliquée. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça. Il y a forcément autre chose qu'une simple recherche de performance.” répond-il simplement.  

Bruno Crastes a tenté de se défendre en évoquant des paris risqués, comme celui qu’il avait fait sur la dette grecque, et qui s’est révélé gagnant. Les situations ne sont pas comparables. La Grèce n’est pas un homme d'affaires allemand condamné pour failliteLes vraies raisons de ces investissements, je ne les connais pas”, conclut-il ainsi nos échanges. 

A cette question, le Financial Times a livré de premiers éléments de réponse dans ses pages le 13 décembre. Selon les informations du quotidien londonien, Lars Windhorst, le récipiendaire des fonds, aurait proposé en 2019 un poste dans sa marque de lingerie de luxe La Perla à l'épouse de Bruno Crastes, lui proposant de diriger un magasin phare prévu à Monaco, signe de la relation étroite qu'entretenaient le financier allemand et le directeur général de H2O.

Le collectif portera son action en justice en mars 2023, pour tenter d’obtenir une indemnisation à hauteur de 100 millions d’euros. Si vous êtes porteur de parts des fonds H20 AM, renseignez-vous ici