Commençons par la conclusion, puisque c'est ainsi que Morgan Stanley débute son propos : "Notre analyse détaillée de la croissance des loyers laisse penser que la valeur capitalistique des centres commerciaux européens aurait dû faire l'objet d'une correction importante depuis longtemps". Pour en arriver à cette conclusion, la banque américaine a fait d'Unibail son cobaye. Après tout, le leader européen a le plus beau portefeuille du secteur et s'emploie à continuer à arbitrer ses actifs pour se séparer des moins qualitatifs. Par conséquent, toutes les tendances négatives du marché qui frappent Unibail sont présumées cogner encore plus fort ses concurrents.
 

Le parcours récent de 4 foncières commerciales françaises vs. CAC40. Seul Klépierre résiste (Cliquer pour agrandir)
 
Or en creusant dans les chiffres de la star du secteur, Morgan Stanley a trouvé que ses loyers sont en train de cesser de croître. Il s'est en effet intéressé aux loyers du marché plus qu'aux chiffres de "croissance en base comparable" généralement fournis par les foncières (qui les basent, grosso modo, sur l'indexation des loyers et le potentiel de réversion de la fraction des baux arrivant à échéance). Comme l'analyste estime que le potentiel de réversion (qui mesure donc la hausse anticipée des loyers à l'échéance d'un bail commercial) est proche de zéro, voire qu'il pourrait entrer en territoire négatif rapidement, son sentiment est négatif. 
 
Mais pourquoi les loyers cesseraient-ils de monter, pourrait-on rétorquer à Morgan Stanley ? La banque y voit une grande tendance de fond, c'est même la base de sa position sectorielle. "La vente en ligne va continuer à gagner des parts de marché, aux dépens des autres canaux : il s'agit en grande partie d'une redistribution des ventes plus que de ventes additionnelles", explique-t-elle. Cette situation fait que les distributeurs physiques sont de plus en plus vigilants sur leurs coûts, notamment leurs coûts de location, qui sont un poste fixe important. Morgan Stanley pense que, dans un tel contexte, le pouvoir des bailleurs en matière de fixation des prix s'érode dans la plupart des cas, ce qui se traduira à l'avenir par une trajectoire de croissance des loyers très différente. La distribution physique ne disparaîtra pas, mais la donne est en train changer.

Des objectifs qui baissent

L'accroissement de la valorisation des actifs immobiliers repose sur le postulat selon lequel les loyers ne cessent jamais de progresser. Et si les loyers arrêtent de croître, les valorisations doivent s'en ressentir. La banque américaine a donc, la semaine dernière, ajusté en nette baisse ses objectifs de cours sur les valeurs du secteur, en sabrant dans la valeur des actifs, calculée via le standard sectoriel : l'actif net réévalué (ANR). En moyenne, Morgan Stanley affiche des prévisions d'ANR 2021 inférieures de 21% à celles publiées par les foncières au terme de l'exercice 2018. Cela se traduit par un objectif réduit de 18 à 14 EUR sur Carmila, de 140 à 115 EUR sur Unibail, de 29 à 23 EUR sur Klépierre et de 420 à 280 GBp sur le britannique Hammerson (très présent en France : Italie2, O'Parinor, Les 3 Fontaines, SQY Ouest, Villebon, Les Terrasses du Port, Nicétoile…). Par voie de conséquence, si la valeur des actifs baisse, cela aura des conséquences sur les dividendes et sur la couverture de l'endettement.
 
Cette vision peut sembler très pessimiste, mais le bureau d'études persiste et signe. "Nous avons une grande confiance dans l'arrivée d'une importante modification des valeurs d'actifs, mais un peu moins sur le timing", écrivent les trois analystes en charge de l'étude, Bart Gysens, Christopher Fremantle et Jonathan Walker. Les difficultés du secteur des foncières commerciales ont déjà commencé, nous l'avons vu dans le premier graphique. Elles ne concernent pas que les françaises puisque l'indice européen du secteur compilé par le STOXX, qui compte 12 valeurs (Unibail, Klépierre, Hammerson, Shaftesbury, Wereldhave, Retail Estates, Mercialys, Intu Properties, Carmila, Altarea, Immobiliare Grande Distribuzione) fait lui aussi grise mine.
 

Stoxx Europe 600 en orange vs. Stoxx Foncières commerciales en bleu (Source Stoxx - Cliquer pour agrandir)