par Sinéad Carew

NEW YORK, 27 mai (Reuters) - Les produits de première nécessité, les plus à la traîne à Wall Street depuis le début de l'année, risquent de rétrograder encore plus et même en cas de récession, leur statut défensif perdrait beaucoup de son attrait.

Leur indice sectoriel a pour le moment cédé 13% cette année et semble parti pour subir sa première perte annuelle depuis 2008, tandis que l'indice S&P-500 est lui en hausse de 1,7% sur la même période.

Les investisseurs se détournent de ces valeurs parce qu'elles sont exposées au caprice du consommateur, à une concurrence acharnée et à d'autres obstacles qui préviennent toute hausse des prix alors même que les charges augmentent.

Considérées comme défensives, car supposées immunisées contre les retombées d'une récession, sources de dividendes élevés et de taux de croissance réguliers, ces valeurs pâtissent aussi d'un marché obligataire aux rendements croissants et de performances jugées plus satisfaisantes dans d'autres secteurs économiques.

"Nous pensons que ce secteur restera sous pression parce que les investisseurs ont, entre autres choses, de meilleures opportunités ailleurs", dit Sameer Samana (Wells Fargo Investment Institute).

La fidélité du consommateur aux marques de produits alimentaires et ménagers est plus fluctuante que jamais, note Burns McKinney (Allianz Global Investors). Le consommateur tend à rechercher les marques de distributeurs, moins chères, pour les produits de très grande consommation, au détriment des grandes marques.

Le nouvel engouement pour les produits alimentaires frais détourne des produits pré-emballés; cette mise en avant du bien-être et de la santé affecte enfin les grands cigarettiers tels qu'Altria.

Dans la mesure aussi où les distributeurs physiques subissent l'âpre concurrence de géants du commerce électronique tels qu'Amazon, ils exercent une pression énorme sur les producteurs pour qu'ils baissent leurs prix.

Wall Street anticipe une croissance des bénéfices de 11,4% cette année dans le secteur des produits de première nécessité contre 11,6% attendus le 1er avril, selon des données de Thomson Reuters. Ce secteur figure ainsi dans le trio de queue des 11 grands indices sectoriels de l'indice S&P pour ce qui est de la performance attendue.

La Bourse projette une croissance des bénéfices de 22% en 2018 pour les sociétés composant l'indice S&P-500 dans leur ensemble.

"Nous sommes dans un marché qui ne pense qu'aux résultats de sociétés et, de ce point de vue, d'autres secteurs ont de bien meilleures perspectives", dit John Praveen (Prudential International Investments Advisers).

Le PER des produits de première nécessité est de 19, soit une décote de l'ordre de 10% sur celui du S&P-500 qui est de 21, observe Samana (Wells Fargo), ajoutant que "le point le plus bas du cycle" pour ces produits se situe habituellement lorsque leur décote est de 20% à 30% par rapport au reste du marché, impliquant un PER de 15 à 17.

Cependant, une baisse des valorisations et une récession économique pourraient à terme se révéler des éléments de soutien pour ce secteur.

"Nous deviendrions intéressés si les valorisations baissaient à des niveaux tels qu'elles compenseraient pour l'investisseur le risque qu'il y aurait à choisir ce secteur", observe Samana. "Il n'est pas si bon marché que ça par rapport au marché pour l'instant".

Les valeurs de première nécessité réalisent habituellement de meilleures performances que le marché dans son ensemble en période de récession car les investisseurs se disent que le consommateur réduira ses dépenses certes le plus possible mais qu'il sera bien obligé malgré tout d'acheter du papier toilette, du savon ou des produits alimentaires de base.

Mais l'économie américaine devrait rester dynamique cette année et la suivante, constate Praveen.

Paul Nolte (Kingsview Asset Management) juge que les valorisations actuelles ne doivent pas dissuader d'investir. "Elles sont raisonnables, pas forcément une super-affaire, mais on peut commencer à renforcer à partir de là", explique-t-il.

Il n'empêche, poursuit Samana, même si l'investisseur regarde d'un oeil plus favorable les "staples" en période de récession, il se peut bien qu'elles ne soient plus le "havre de paix" qu'elles ont pu représenter par le passé.

(Wilfrid Exbrayat pour le service français)