* Ma patience a des limites, dit le Premier ministre

* Les protestataires de Taksim évoquent un possible dialogue

* Erdogan compare le mouvement à une tentative de putsch en 2007 (Actualisé avec déclarations, contexte, détails)

par Ayla Jean Yackley

ISTANBUL, 10 juin (Reuters) - Le mouvement de contestation en Turquie contre le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan montre peu de signes d'essouflement à Istanbul.

Face à cela le Premier ministre a affiché son exaspération et prévenu ses adversaires que sa patience avait des limites.

Les manifestants, qui campent dans des tentes, contrôlent désormais une grande partie du quartier autour de la place Taksim, point de départ des protestations dans le centre de la ville il y a une dizaine de jours.

Les policiers se sont retirés, se tenant à des centaines de mètres du quartier dont les accès sont bloqués par des barricades érigées par les occupants au moyen de blocs de pierres, de pavés ou encore de barres de fer.

Cette instabilité politique a suscité lundi l'inquiétude des investisseurs et l'agence de notation Moody's a prévenu que la contestation pourrait mettre en danger la note de crédit de la Turquie, relevée en mai.

La Bourse turque a perdu près de 15% la semaine passée et le Premier ministre s'en est pris lundi aux spéculateurs et a promis "d'étouffer" ceux qui tentaient de s'enrichir en exploitant "la sueur du peuple". La déclaration a été accueillie par un nouveau repli boursier.

"Cela marque une volte-face de la part d'un gouvernement qui est toujours apparu favorable à l'investissement étranger et s'est montré à l'écoute des marchés", explique Timothy Ash, responsable du secteur marchés émergents chez Standard Bank. "Cette période semble terminée et le gouvernement va se trouver en butte aux reproches des investisseurs et des marchés".

SIX MEETINGS

Ce qui, à l'origine, n'était qu'une manifestation contre un projet immobilier affectant un parc en centre-ville s'est transformée en contestation sans précédent visant Erdogan, son style perçu comme autocratique et l'hégémonie de son parti, l'AKP, sur la vie politique turque.

Inflexible depuis le début, le dirigeant islamo-conservateur au pouvoir depuis dix ans a comparé la contestation à une tentative menée par l'armée, gardienne de la laïcité, pour réduire ses pouvoirs en 2007.

Pas moins de six meetings ont été organisés dimanche devant des milliers de partisans brandissant le drapeau rouge de la Turquie au cri d'"Allahu Akbar" (Dieu est le plus grand). Erdogan a accusé les protestataires d'attaquer les femmes portant le foulard ou de boire des bières dans les mosquées.

"Nous avons été patients, nous serons patients, mais la patience a des limites, et ceux qui font de la politique en se cachant derrière les manifestants devraient d'abord apprendre ce que signifie la politique", a déclaré le Premier ministre à Ankara, dans un de ses plus virulents discours depuis le début des troubles.

Il n'a pas précisé qui il y voyait "derrière" les manifestants mais l'une de ses plus grandes fiertés est d'avoir combattu l'élite conservatrice laïque depuis son arrivée au pouvoir, notamment l'armée, à l'origine de quatre coups d'Etat en quatre décennies.

BONNE VOLONTÉ

Plusieurs organisateurs de la manifestation à Taksim se sont réunis lundi pour discuter des suites à donner au mouvement.

Un retrait des barricades a été envisagé en geste de bonne volonté mais certains doutent de voir aboutir les demandes formulées : libération des manifestants arrêtés et interdiction pour les forces de l'ordre d'utiliser des gaz lacrymogènes.

"Nous voulons que la vie reprenne normalement sur la place", a résumé Eyup Muhçu, président de la Chambre des architectes et membre de la plateforme Solidarité Taksim. "Nous sommes prêts au dialogue, mais les remarques du Premier ministre montrent qu'il n'est pas prêt à la discussion", a-t-il ajouté.

Pour Erdogan, le mouvement de contestation est comparable aux manifestations laïques de 2007 et à sa confrontation d'alors avec les militaires. "Aujourd'hui, nous sommes exactement où nous étions le 27 avril 2007", a-t-il dit.

A cette date, l'armée avait publié sur son site internet une note dénonçant le projet de nommer Abdullah Gül, cofondateur duParti de la Justice et du Développement à la présidence de la République.

Cette décision permettait à l'AKP d'élargir son pouvoir sur l'appareil d'Etat et les généraux avaient laissé entendre qu'ils pourraient agir pour l'en empêcher, au nom de la défense de la laïcité.

Pour Abdulkadir Selvi, observateur politique proche du pouvoir, le Premier ministre devrait s'en tenir à la ligne dure qu'il a dessinée. "Erdogan a choisi le combat. Il ne cherchera pas d'accord avec ceux qui ont lancé le mouvement contre lui et ne reculera pas d'un pas", écrit-il dans le journal Yeni Safak. (Jean-Stéphane Brosse et Pierre Sérisier pour le service français, édité par Gilles Trequesser)