Il paraît loin le temps où Sony était uniquement un fabricant de produits électroniques. Les nombreux rachats dans les domaines de la musique, du gaming (pour consoles ou mobiles), du streaming vidéo, de la production audiovisuelle et de l’animation vont de pair avec la multiplication des filiales dédiées au sein de l’empire japonais. 

Avec le rachat, début décembre, du service de streaming d'animes Crunchyroll, pour 1,2 milliard de dollars, Sony renforce encore ses ambitions dans le domaine de l’animation. Avec 93 millions d’abonnés dans 200 pays et la distribution de franchises ultra populaires comme Naruto ou Demon Slayer (Kimetsu no Yaiba), Crunchyroll devrait même devenir une filiale à part entière au sein de la société de divertissement. 

Cette acquisition illustre plusieurs des stratégies défendues par Sony : la consolidation de sa position de fournisseur de contenu, le renfort du modèle commercial basé sur des services payants et des abonnements, et l’extension des activités liées aux contenus pour enfants. Mais pas seulement. 

La conquête de l’animation

Le rachat de Crunchyroll n’est que la dernière étape d’un déploiement tentaculaire dans l'univers de l’animation, initié il y a quelques années. 

En 2015, Aniplex (anciennement Sony Pictures Entertainment)prenait une participation dans le fournisseur français de services de streaming Wakanim et s’emparait la société de distribution australienne Madman Anime Group en 2017. Cette même année, Sony Pictures Television Networks prenait possession de l’américain Funimation, le plus grand diffuseur d’animes japonais aux Etats-Unis, pour en faire Sony Funimation Global Group. Un an plus tard, le groupe nippon s’offrait, via son unité musicale, Peanuts, la société créatrice des personnages Snoopy et Charlie Brown, pour 185 millions de dollars. Enfin en 2019, Sony Pictures Television devenait propriétaire de Silvergate Media, le producteur des séries animées Hilda et Peter Rabbit de Netflix, pour 195 millions de dollars. 

 

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Si tout ça a l’air simple, c’est en fait une organisation arachnéenne. Un simple détour par le wikipédia de Funimation vous en convaincra. On y lit que Funimation est une co-entreprise (avec Wakanim et Madman Anime Group) détenue par Sony Pictures Entertainment ET Aniplex  (filiale de Sony Music Entertainment Japan depuis 2020) et qu’elle héberge elle-même deux entités mineures : Funimation Films et Manga Entertainment. 

Cette démonstration n’est pas faite pour vous entortiller les méninges. Si ces emberlificotages peuvent paraître absurdes, ils ont un sens commercial.

Des retombées aussi multiples que monstrueuses

Sony Aniplex, par exemple, est le studio de production à l'origine de Demon Slayer, le film le plus rentable jamais produit au Japon (276 millions de dollars de retombées en 52 jours, uniquement en tickets d’entrée de cinéma), mais il n’en était pas le distributeur (Crunchyroll), ni n’en détenait la propriété intellectuelle. Et c’est bien là que tout se joue. 

En réunissant tous les métiers au sein d’un même empire, Sony maximise la valeur de la propriété intellectuelle en s’assurant que l’intégralité des retombées tombent dans son escarcelle. Car il ne s’agit plus seulement de vendre des T-Shirts à l'effigie des héros des mangas. 

Demon Slayer était à l’origine un manga papier, un comics si vous préférez. Une version numérique de cette bande dessinée a fait son apparition, puis une série télévisée et un film. Enfin, le groupe a annoncé pour 2021 la sortie du jeu vidéo inspiré des héros du manga (qui sortira sur la Playstation de...Sony Interactive Entertainment). Gageons qu’une version mobile enrichira par la suite cette collection. 

Ces productions s’accompagnent de visuels, bien sûr, et de musiques (dont les droits tombent, hop, dans l’unité musicale du groupe). Et outre les goodies habituels (je vous fais grâce de la liste interminable, qui va jusqu’au sets de table d’une chaîne de restauration célèbre), Demon Slayer a généré un phénomène de société. A tel point que le héros de la saga, Tanjiro Kamado, orne aujourd’hui les trains de la compagnie ferroviaire Kyushu Railway. Pas suffisant pour vous impressionner dites-vous ? En novembre, cette dernière  a mis en service une locomotive à vapeur similaire à celle du film. 

En dehors des ventes des productions et articles connexes, Sony peut également développer une armada de canaux et d'événements générateurs d'autant de retombées en matière de propriété intellectuelle et de bénéfices publicitaires. L’été dernier, Aniplex a organisé “Aniplex Online Fest”, un festival numérique consacré aux animes : en deux jours, il a réuni 840 000 personnes et atteint 1,85 million de vues. Pas bégueule, Aniplex a ouvert la diffusion en streaming à YouTube et au chinois Bilibi. 

Les apports de la technologie

Pour parfaire ses compétences dans le domaine de l'animation et contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur mise en place, Sony peut évidemment compter sur son métier historique : la technologie électronique. 

Pour pallier les problèmes liés à la pandémie, Sony et Animax (la chaîne de télévision payante dédiée aux animes, filiale de Sony) développent conjointement un système qui permet aux acteurs de doubler les films à distance, en regardant les mêmes images en même temps. Le géant japonais investit également dans la technologie haptique, qui permettra un jour aux utilisateurs et spectateurs de ses programmes de sentir les gouttes de pluie tomber ou ressentir une tape sur l'épaule.  

Sony devrait, selon Nikkei Asia, opérer une grande simplification organisationnelle (ouf !) au cours de l’année prochaine, pour regrouper toutes les unités sous un même étendard, Sony Group.