par Sinead Cruise

11 février (Reuters) - Les gérants américains commencent à se détourner des valeurs de la consommation, pénalisées par la perspective d'un ralentissement de la croissance et par des valorisations élevées.

Le quasi plein emploi et la hausse des salaires devraient soutenir la consommation aux Etats-Unis mais les inquiétudes sur la croissance mondiale, les tensions commerciales avec la Chine et la situation politique intérieure pèsent sur le moral des ménages comme sur les valeurs du secteur à Wall Street.

L'estimation des analystes pour la croissance des bénéfices des sociétés de l'indice S&P 500 de la consommation discrétionnaire est désormais de 14,7% pour le quatrième trimestre 2018, au lieu de +17,8% début octobre, selon les données de Refinitiv.

Les bénéfices du premier trimestre 2019 sont maintenant attendus en repli de 1,7% alors qu'une croissance de 6% était anticipée le 1er octobre.

Dans le secteur des biens de consommation de base, la croissance attendue des profits au quatrième trimestre est passée de +6,7% en octobre à +4,2% actuellement, et elle ne serait plus que de 0,7% au premier trimestre.

A titre de comparaison, les bénéfices de l'indice large S&P 500 sont attendus en hausse de 16,8% au quatrième trimestre mais en repli de 0,1% sur les trois premiers mois de 2019.

"Les données qui nous parviennent sur le consommateur sont plutôt négatives que positives", observe Eric Freedman, directeur des investissements chez U.S. Bank Wealth Management à Minneapolis. Sa société a une opinion de "pondération en ligne ou légère sous-pondération" sur le compartiment de la consommation discrétionnaire tout en jugeant "légèrement surévaluées" les valeurs de la consommation de base.

LE MORAL DES MÉNAGES SE DÉGRADE

Selon la dernière enquête du Conference Board, la confiance du consommateur aux Etats-Unis s'est dégradée en janvier pour le troisième mois consécutif, tombant à son plus bas niveau depuis 18 mois sur fond de blocage ("shutdown") d'une partie des administrations fédérales et de turbulences sur les marchés financiers.

Shawn Kravetz, responsable des allocations d'actifs d'Esplanade Capital, explique que la plupart des consommateurs ont eu des raisons de "marquer une pause" ces derniers mois.

"Pour les plus aisés, il y a eu la dégringolade de 15% du marché boursier au quatrième trimestre", dit-il. "Les employés du gouvernement fédéral ont eu, eux, plusieurs semaines sans rentrée d'argent. Et pour le plus grand nombre, il y a eu l'incertitude liée au 'shutdown' et à ses répercussions possibles sur leur emploi, leur entreprise ou la situation économique globale.

"Tant et si bien que tout le monde a été affecté directement ou indirectement. La bulle (de la consommation) n'a pas éclaté mais, pour sûr, elle s'est un peu dégonflée."

Comme d'autres gérants, Shawn Kravetz justifie aussi sa prudence par des valorisations élevées en Bourse.

L'indice sectoriel de la consommation discrétionnaire se paie 19,8 fois les bénéfices estimés à comparer à des multiples de 17,3 pour la consommation de base et de 15,8 pour le S&P 500, selon Refinitiv.

"Vous payez plus pour moins de croissance", résume Burns McKinney, gérant chez Allianz Global Investors à Dallas. Sa firme détient des valeurs de consommation comme le distributeur Target ou le constructeur automobile General Motors mais sous-pondère les secteurs de la consommation discrétionnaire et de la consommation de base.

Dans ce dernier compartiment, les analystes attendent encore les résultats du quatrième trimestre de Coca-Cola, PepsiCo, Newell Brands et Walmart. Dans la consommation discrétionnaire, se font encore attendre les distributeurs Home Depot, Macy's, Gap et Target parmi d'autres.

LES DISTRIBUTEURS POURRAIENT ÊTRE SANCTIONNÉS EN BOURSE

"Les valeurs de la grande distribution comme Walmart sont correctement valorisées, avec des perspectives solides mais aussi quelques risques", énumère Shawn Kravetz. "Les grandes marques comme Coca-Cola et Pepsi sont proches de leurs plus hauts, avec une image de sécurité en période agitée mais suffisamment de risques pour qu'on reste à l'écart. C'est plus difficile pour les chaînes de magasins comme Macy's et Gap."

Jharonne Martis, responsable de la recherche sur la consommation à Refinitiv, relève que la tendance reste bien orientée pour le commerce de détail mais que la croissance étant moins forte qu'au début de 2018, certains distributeurs pourraient voir leurs résultats sanctionnés en Bourse.

"On assiste déjà à une baisse de la confiance des ménages et les analystes réduisent leurs estimations (de résultats) pour 2019", dit-elle.

A ce stade, plus de la moitié des sociétés de l'indice S&P de la consommation discrétionnaire ont publié leurs résultats de la période octobre-décembre et 71% d'entre elles ont fait mieux que prévu par les analystes. Dans la consommation de base, les deux tiers ont publié leurs comptes et, sur ce total, 64% ont fait mieux qu'attendu, d'après les données de Refinitiv.

Au premier trimestre, la consommation risque d'avoir été freinée par la fermeture partielle des administrations fédérales pendant une durée sans précédent de 35 jours, conséquence du bras de fer budgétaire qui oppose le président Donald Trump à la nouvelle majorité démocrate de la Chambre des représentants.

Selon une enquête Reuters publiée le mois dernier, les économistes prévoient en moyenne un impact de 0,3 point du "shutdown" sur le produit intérieur brut du premier trimestre.

La paralysie partielle des administrations a contraint le département du Commerce à reporter la publication de plusieurs indicateurs clés, dont celui des ventes au détail de décembre qui sera finalement publié jeudi.

(Véronique Tison pour le service français, édité par Patrick Vignal)