"Go-go-go", résume Izzy Rosenzweig, PDG de Portless, un fabricant de bateaux gonflables propulsés à l’électrique, qui constate une forte relance des commandes en produits dérivés comme les maillots de bain, crèmes solaires et robes d’été. L’entrepreneur note un rebond spectaculaire après la paralysie d’avril, où les réservations de conteneurs entre la Chine et les États-Unis ont chuté de près de 50 %.
La logistique en surchauffe
La chaîne logistique reste sous tension. Le transport maritime accuse des délais allant jusqu’à 60 jours et force certains distributeurs à opter pour l’aérien, plus coûteux. Selon Gene Seroka, directeur du port de Los Angeles, les délais actuels risquent de compromettre non seulement l’été, mais aussi la rentrée scolaire, une autre période stratégique pour le secteur.
Les acteurs américains de la grande distribution commencent à se positionner, alors que les effets des droits de douane pourraient être plus mordants lors des résultats du deuxième trimestre. Le plus grand, Walmart, a déclaré qu’il augmenterait ses prix si les coûts induits par les droits de douane venaient à se matérialiser. Deux augmentations sont au programme : la première est en cours ce mois de mai, et la deuxième est prévue en juillet. La stratégie a été vivement critiquée par Donald Trump, qui exhorte l’enseigne "à assumer les droits de douane". Autrement dit : Walmart doit en supporter le coût et rogner sur ses marges plutôt que d’en faire porter le poids aux consommateurs.
Mais la situation s’annonce incertaine, alors que le président américain a multiplié les revirements sur le sujet et laisse les acteurs économiques dans le flou au gré de ses annonces. Ainsi, un retour aux niveaux du 2 avril – le fameux "Jour de la Libération" – reste possible si les négociations avec les différents pays n’étaient pas menées "de bonne foi". De nombreuses chaînes de grande distribution restent dépendantes du marché extérieur pour leurs importations. C’est par exemple le cas de Target, dont la majorité des produits vendus appartient à la catégorie non essentielle – vêtements, meubles de maison, produits de beauté, etc. 30% des produits sont importés de Chine. C’est certes deux fois moins qu’en 2017, mais cela reste considérable, d’autant que Target s’approvisionne aussi dans le reste de l’Asie. La chaîne de magasins a été contrainte de revoir ses prévisions annuelles à la baisse : les ventes sont désormais attendues en repli de 1 à 4% d’une année sur l’autre. Le titre a plongé de 28% depuis le début de l’année.
Certains contre-modèles peuvent résister
D’autres acteurs font figure de contre-exemple et semblent mieux armés actuellement. C’est le cas de The Home Depot. Le géant du bricolage a présenté de bons chiffres trimestriels, avec des revenus en progression de 9,4% et des ventes à périmètre comparable – même nombre de magasins – à l’équilibre. L’enseigne ne prévoit pas de hausse de prix, sa dépendance à la Chine est limitée et la stratégie vise à ce qu’aucun pays ne représente plus de 10% des achats d’ici douze mois. Les droits de douane pourraient toutefois rendre certains produits indisponibles.
TJX, la maison mère du détaillant TJ Maxx, dont la capitalisation boursière avoisine 150 Mds$, reste sous la menace, étant donné qu’il s’approvisionne en produits à bas prix. Toutefois, son modèle s’appuie sur un approvisionnement auprès d’intermédiaires aux États-Unis, ce qui limite l’impact global.
Walmart, qui s’est engagé à absorber partiellement les droits, réalise près de 60% de son chiffre d’affaires avec l’épicerie, ce qui pourrait limiter la casse sur ses marges. Mais pas loin de la moitié de ses achats sont effectués hors d’Amérique du Nord. Walmart est le principal importateur de conteneurs aux Etats-Unis.
Les enseignes cherchent des alternatives. Walmart et Costco, en particulier, intensifient leurs commandes à Tiruppur, plaque tournante du tricot en Inde. Lors du Jour de la Libération, l’Inde a bénéficié d'une fiscalité plus favorable : 26% de droits de douane contre 37% pour le Bangladesh, 46% pour le Vietnam. Malgré la pause de 90 jours, cet avantage théorique se heurte à une réalité bien plus nuancée. Les industriels indiens peinent à répondre à la demande : manque de main-d’œuvre, coûts élevés, usines trop petites et mal organisées, difficulté à adapter la chaîne d’approvisionnement, pression sur les prix… À Tiruppur, les machines tournent au ralenti faute d’opérateurs.
Une équation de plus en plus complexe
En définitive, les enseignes ont la tâche difficile. Certains semblent mieux préparés mais cela ne rend pas moins délicat le contexte tarifaire. L’optimisation de la chaîne d’approvisionnement vire à l’équilibrisme. Augmenter les stocks en amont, diversifier les sources d’approvisionnement, absorber ou répercuter les droits de douane : les leviers sont connus mais leur combinaison reste délicate.
La consommation américaine est pour l’heure encore robuste (+5,4% sur un an en avril). Elle soutient le secteur. Mais les signaux d’alerte se multiplient. La contraction du PIB au premier trimestre, les tensions inflationnistes et les mises en garde de grandes banques – comme celles du patron de JPMorgan, Jamie Dimon, ou de Citigroup – rappellent que la situation pourrait vite basculer. À moins d’un revirement tarifaire durable, la grande distribution américaine devra revoir en profondeur ses équilibres.