Les indices financiers sont toujours le reflet de quelque chose : d'un pays, d'un secteur, d'un style d'investissement, etc... Les plus généralistes sont censés suivre les grandes tendances économiques. Le Dow Jones de 1896 comprenait des entreprises des industries du sucre, du coton, du cuir, des métaux, de l'énergie, des machines ou du tabac. Durant l'entre-deux guerres, l'indice américain a accueilli de nouveaux acteurs, reflétant l'évolution de l'économie : grande distribution (Coca-Cola, P&G), communications (AT&T), automobile (Nash)… Sur les trente dernières années, les valeurs technologiques se sont multipliées ainsi que les banques, qui brillaient jusque-là par leur absence.

Les technos au pouvoir 

Depuis le nouveau millénaire, le poids relatif des valeurs technologiques n'a cessé de croître, ce qui pose d'ailleurs certains soucis. Dans l'indice S&P 500, la référence mondiale, le secteur Technologie ("IT") pèse environ 26%, contre un peu moins de 16% en moyenne depuis 1990, et encore en incluant l'épisode délirant de 2000 (le secteur était monté à 35%). Or la classification GICS (Global Industry Classification Standard) va changer le 28 septembre prochain. S&P DJ Indices et MSCI vont faire évoluer les façons dont certaines sociétés sont "rangées" depuis des années. L'enveloppe globale restera inchangée, ce qui n'empêchera pas les nouvelles affiliations d'avoir des conséquences sur le marché, au moins pendant la phase d'ajustement.

La vengeance des télécoms

La réforme prévue fin septembre concerne essentiellement l'élargissement du secteur Services de Télécommunications ("Telecommunication Services"). Actuellement, ce secteur ne comprend que Verizon, CenturyLink et AT&T au sein du S&P500. Il sera rebaptisé Services de Communication ("Communication Services") pour intégrer "les entreprises qui facilitent la communication et proposent des contenus variés et des informations via plusieurs médias", selon l'explication fournie par le MSCI. En l'occurrence, le trio actuel sera rejoint (notamment) par Comcast, Disney, Naspers, Netflix, TripAdvisor mais aussi Alphabet ou Facebook. Il s'agira donc d'un report des segments Biens de Consommation Discrétionnaire (qui perd les médias et les jeux vidéo par exemple) et Technologie vers les Services de Communication.
 

Le nouveau secteur, ses deux sous-industries, cinq sous-catégories et 10 sous-sous-catégories (Source S&P, MSCI - Cliquer pour agrandir)
 
D'autres ajustements à la marge

Quelques modifications annexes auront lieu dans la sous-catégorie. Par exemple, Distribution Internet & Marketing Direct intégrera toutes les places de marché en ligne dédiées aux produits et aux services de grande consommation, avec ou sans stocks. Alibaba et eBay en feront partie. Dans l'IT, les sociétés rangées actuellement dans le sous-secteur "Services et Logiciels Internet" (data centers, cloud, infrastructure de stockage, hébergement) migreront vers une nouvelle catégorie baptisée "Services et Infrastructure Internet", rattachée à "IT Services" (Verisign et Shopify en feront partie). Les catégories "Logiciels & Services Internet" et ses sous-catégories vont disparaître.
 
Selon les travaux de LFL Research, L'ex-secteur "Telecommunication Services" devrait passer d'un poids de l'ordre de 2% à 10,1%. Le segment IT devrait reculer de 26 à 21% environ et celui de la consommation discrétionnaire de 12,8 à 10,1%. La nouvelle nomenclature comprendra 11 secteurs, 24 groupes d'industries, 68 industries et 158 sous-industries. Le tableau ci-dessous illustre les modifications à venir.
 
 
L'illustration des changements de poids sectoriels (Source LFL Research - Cliquer pour agrandir)
 
Cette redistribution va nécessairement entraîner des flux conséquents. Les gestionnaires, actifs comme passifs, vont devoir répliquer la nouvelle architecture. Certains risquent de se retrouver avec des cas de conscience et des arbitrages majeurs à réaliser. Les GAFAN (Google, Apple, Facebook, Amazon et Netflix) seront répartis en trois secteurs contre deux actuellement : Apple en IT, Amazon en Consommation Discrétionnaire et Facebook, Netflix et Google en Services de Télécommunications. Les stratégies seront aussi impactées. Les valeurs traditionnelles des télécoms font plutôt partie du segment "value". Elles seront désormais dans la même poche que des entreprises au profil "growth" affirmé.

La gestion sectorielle va devoir en prendre son parti, mais le bouleversement, annoncé dès la fin 2017, apparaît judicieux. Les fournisseurs d'indices "semblent avoir décidé, avec raison de mon point de vue, que la technologie a atteint un niveau tel qu'une ligne doit être tracée entre ceux qui utilisent la technologie et ceux qui produisent la technologie", résume Brad Sorensen, du Schwab Center pour la recherche financière, qui pense que la réforme "reflète ce qui se passe dans l'économie" et qu'elle permettra aux investisseurs "de disposer de portefeuilles plus diversifiés et mieux compris".