Un rapport publié en janvier 2024 par le ministère de la Santé américain dresse un constat accablant : aux États-Unis, les prix des médicaments sont en moyenne 2,78 fois plus élevés que dans les pays comparables. Et jusqu’à 3,22 fois pour les médicaments de marque.
Pourquoi des médicaments si chers ?
Contrairement à la France, où l’État négocie les prix avec les laboratoires, le marché américain est largement dérégulé. Chaque industriel fixe ses tarifs avec les revendeurs, sans intervention directe des pouvoirs publics. La grande majorité des Américains étant assurés, le coût réel des traitements leur échappe. Résultat : l’inflation dans la santé dépasse largement l’inflation générale.
Comparaison de l'inflation globale et l'inflation du secteur de la santé (Source : KFF analysis Bureau of Labor Statistics)
En février, Trump avait déjà signé un décret imposant plus de transparence sur les prix des soins. Ce nouveau texte relance un vieux projet controversé.
Le retour d’un projet explosif
Trump avait tenté d’imposer dès 2020 le principe de "nation la plus favorisée", qui ferait référence aux prix les plus bas pratiqués à l’étranger. À l’époque, les laboratoires avaient vivement réagi, dénonçant une ingérence étrangère dans les prix américains. Selon eux, cette politique pourrait coûter plus de 1 000 milliards de dollars sur dix ans et nuire à l’accès aux soins pour les plus modestes.
Autre argument brandi : l’impact sur l’innovation. Une baisse des marges affaiblirait la recherche, et les fabricants de génériques pourraient fuir le marché américain si les prix devenaient trop contraints.
Les laboratoires étrangers en ligne de mire
Selon une étude d’Ernst & Young, les États-Unis ont importé pour 203 milliards de dollars de produits pharmaceutiques en 2023, dont 73% en provenance d’Europe (Irlande, Allemagne, Suisse). Le déficit commercial du secteur s’élève à 103 milliards de dollars en 2023, et grimpe à 139 en 2024. Il figure parmi les plus importants du pays, aux côtés de l’automobile et du textile, des secteurs également dans le viseur de Donald Trump.
Le marché américain reste le cœur battant de la pharma mondiale : il représente 30 à 40% du marché total, 45% des ventes et 22% de la production mondiale. Bien que l’industrie pharmaceutique américaine soit rapidement montée au créneau après l’annonce, ce sont surtout les groupes étrangers qui risquent d’en souffrir, tant ils dépendent des États-Unis pour leurs revenus.
Quelques exemples si vous voulez en savoir plus sur la réaction des marchés (en parenthèse la part des Etats-Unis dans le revenu) :
- Japon : Takeda (49%), Astellas (42%), Daiichi Sankyo (32%)
- Australie : Clinuvel (>50%), CSL Ltd (50%)
- Inde : Sun Pharma (31%), Cipla (19%), Lupin (35%) — les États-Unis absorbent un tiers des exportations pharmaceutiques indiennes
- Belgique : ArgenX (84%), UCB (50%)
- France : EssilorLuxottica (42%), Sanofi (50%)
À cela s’ajoute une série de signaux inquiétants pour le secteur : nomination d’un nouveau patron à la FDA (jugé peu favorable à l’industrie), menaces de taxes spécifiques, encouragements à relocaliser la production…
Dans une note publiée lundi, Luisa Hector et Kerry Holford, analystes chez Berenberg, précisent : “Pour les 11 grands groupes pharmaceutiques que nous couvrons, plus de 40% des ventes américaines passent par des canaux financés par le gouvernement. Bristol-Myers est le plus exposé à une baisse des prix, Sanofi le moins”.
Un flou juridique persistant
Trump n’a pas détaillé les modalités d’application de sa mesure. Selon Politico, seuls certains médicaments remboursés par Medicare seraient concernés dans un premier temps. Et pour Chris Meekins, analyste chez Raymond James, “plus une annonce est spectaculaire, moins elle a de chances de se concrétiser”, en raison des risques de contentieux.
Depuis la loi sur la réduction de l’inflation de 2022, Medicare peut déjà négocier le prix de certains traitements très coûteux. Mais selon Evan Seigermann, analyste du secteur, le gouvernement fédéral n’a toujours pas le pouvoir de fixer les prix dans le secteur privé. Toute tentative d’élargissement pourrait se heurter à l’opposition du Congrès, à majorité républicaine.
Une industrie sous tension
Dans ce contexte, les investisseurs restent prudents. La réforme souhaitée par Trump s’annonce difficile à mettre en œuvre, mais elle entretient l’incertitude autour de l’avenir de la pharma, aux États-Unis comme à l’international.