DOHA/LE CAIRE/JERUSALEM (Reuters) - Les délégations d'Israël et du Hamas présentes au Qatar pour des négociations sur un cessez-le-feu sont convenues mercredi d'un accord devant mettre fin à la guerre qui fait rage depuis quinze mois dans la bande de Gaza, où des dizaines de milliers de Palestiniens ont été tués, et qui a enflammé le Proche-Orient.
Le Qatar, qui a chapeauté depuis des mois au côté de l'Egypte différents cycles de pourparlers, a fait savoir que le cessez-le-feu entrerait en vigueur le dimanche 19 janvier.
Complexe, prévoyant plusieurs phases, l'accord établit un cessez-le-feu initial de six semaines, le retrait progressif des troupes israéliennes de la bande de Gaza, ainsi que la libération d'otages enlevés par le Hamas lors de l'attaque du 7 octobre 2023 en échange de la libération de détenus palestiniens emprisonnés par Israël.
A Gaza, où les 2,3 millions d'habitants ont pour la plupart été déplacés par les combats et manquent cruellement de nourriture, d'eau et d'énergie, l'annonce d'un accord de cessez-le-feu a donné lieu à des scènes de joie.
Dans le sud de l'enclave palestinienne, à Khan Younès, des foules se sont rassemblées dans la rue, chantant, dansant et agitant des drapeaux palestiniens. "Je pleure, mais ce sont des larmes de joie", a déclaré Ghada, mère de cinq enfants.
L'annonce d'un accord a également été accueillie dans la joie à Tel Aviv. Le groupe représentant les familles des otages israéliens détenus à Gaza a exprimé dans un communiqué leur "joie et soulagement immenses" à l'égard de cet accord qui va permettre "de ramener nos être chers à la maison".
S'exprimant lors d'une conférence de presse à Doha, le Premier ministre qatari a confirmé que les négociateurs étaient parvenus à un accord, comme rapporté plus tôt à Reuters par un responsable au fait des discussions.
L'accord, a précisé Mohammed ben Abdulrahman Al Thani, également ministre des Affaires étrangères, entrera en vigueur le 19 janvier.
Des travaux se poursuivent avec Israël et le Hamas sur les mesures de mise en oeuvre de l'accord, a-t-il ajouté.
RÉUNION JEUDI DU CABINET DE SÉCURITÉ ISRAÉLIEN
A Washington, quelques instants plus tard, Joe Biden a salué la conclusion d'un accord "qui va stopper les affrontements à Gaza, accroître la très nécessaire aide humanitaire pour les civils palestiniens et permettre de réunir les otages avec leurs familles après plus de quinze mois de captivité".
Le président américain, dont le mandat touche à sa fin, a également mis en avant qu'il s'agissait du projet d'accord qu'il avait soumis aux négociateurs en mai dernier et dont il avait ensuite dévoilé publiquement les grandes lignes.
Joe Biden a ajouté qu'il appartenait désormais à l'administration du président-élu Donald Trump de garantir la mise en oeuvre de l'accord. Les deux administrations ont travaillé côte à côte ces derniers jours, a-t-il dit, alors que l'émissaire spécial de Trump pour le Proche-Orient a pris part à l'ultime cycle de négociations.
Donald Trump, qui n'avait eu de cesse de réclamer un cessez-le-feu et la libération des otages sous peine de faire "payer un enfer" à tout le Proche-Orient, a déclaré via son réseau social Truth qu'aucun accord ne serait intervenu s'il n'avait pas remporté l'élection présidentielle de novembre dernier.
Pour que l'accord soit formellement approuvé par Israël, le cabinet de sécurité et le gouvernement doivent le valider. Des votes sont prévus jeudi, a fait savoir un représentant israélien.
En dépit de l'opposition de certains membres ultra-nationalistes du gouvernement, dont le ministre des Finances Belazel Smotrich, qui a répété mercredi soir sa position, il est attendu que l'accord soit accepté par la coalition dirigée par Benjamin Netanyahu.
Le Premier ministre israélien a eu des échanges téléphoniques avec Donald Trump et Joe Biden pour les remercier de leurs efforts pour obtenir l'accord de libération des otages, ont déclaré ses services.
La France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, ou encore la Turquie et les Emirats arabes unis, entre autres, ont salué l'accord.
CHEMIN TORTUEUX
En dépit de cette avancée décisive entre Israël et le Hamas, les bombardements israéliens dans la bande de Gaza se sont poursuivis mercredi soir, ont rapporté des habitants. Vingt personnes ont été tuées dans des frappes menées contre la ville de Gaza et dans le nord de l'enclave, ont déclaré des médecins.
Plus tôt dans la journée, le Hamas, principal groupe armé dans la bande de Gaza, a fait savoir que sa délégation envoyée au Qatar avait donné son feu vert à un accord de trêve et de libération des otages. Un représentant du Hamas a ensuite déclaré que le groupe a obtenu des "gains importants".
Il s'agit de l'épilogue de longs mois de négociations tortueuses, interrompues et relancées à plusieurs reprises sous l'impulsion de médiateurs de Doha et du Caire avec l'appui de Washington.
S'il est effectivement respecté, l'accord permettra de stopper le bain de sang dans la bande de Gaza, où le bilan n'a cessé de s'alourdir quotidiennement, et pourrait apaiser également les tensions régionales, alors que le conflit s'est élargi à la Cisjordanie occupée, au Liban, à la Syrie, au Yémen et en Irak, sur fond de craintes d'un embrasement avec l'Iran.
Au-delà de la mise en oeuvre de l'accord et des trois phases qu'il prévoit, le chemin reste complexe et, potentiellement, périlleux.
Il faudra que les Palestiniens, les Etats arabes et Israël conviennent d'une vision post-guerre pour Gaza - un défi de taille, entre les garanties sécuritaires réclamées par l'Etat hébreu et les milliards de dollars qui seront nécessaires pour la reconstruction de l'enclave.
Reste à déterminer, ce qui n'est pas non plus une mince affaire, qui dirigera alors la bande de Gaza. Israël a rejeté toute hypothèse impliquant le Hamas et n'est pas très enclin non plus à ce que l'Autorité palestinienne, qui dispose de prérogatives limitées en Cisjordanie occupée, prenne le pouvoir.
ÉTAPES
D'après une source au fait de la question, l'accord de cessez-le-feu prévoit que le Hamas commencera par libérer 33 otages dont toutes les femmes, civiles ou militaires, les enfants et les hommes âgés de plus de 50 ans. Ces otages seront libérés chaque semaine par groupe de trois au moins.
L'accord prévoit qu'Israël s'engage pour sa part à libérer d'ici la fin de la première phase toutes les femmes et tous les Palestiniens de moins de 19 ans arrêtés depuis le 7-Octobre.
Le nombre total de détenus palestiniens qui seront libérés dépendra du nombre d'otages relâchés, a ajouté la source, et pourrait se situer entre 990 et 1.650.
Plusieurs dizaines d'otages israéliens avaient été libérés en novembre 2023 à la faveur d'une trêve d'une semaine. Selon Israël, il reste 98 otages aux mains du Hamas, dont la moitié seraient vivants.
Tsahal a lancé une vaste offensive dans l'enclave palestinienne en réponse aux raids menés le 7 octobre 2023 par le Hamas dans le sud d'Israël, au cours desquels 1.200 Israéliens ont été tués et 250 otages israéliens ou étrangers ont été capturés, d'après les données israéliennes.
Plus de 46.000 Palestiniens ont été tués depuis lors dans la bande de Gaza dans le cadre du siège total décrété par Israël, selon les données des autorités locales.
(Reportage Andrew Mills à Doha, Nidal Al Mughrabi au Cairo, Maayan Lubell à Jérusalem, Clauda Tanios et Nayera Abdallah à Dubai, avec la contribution de James Mackenzie et Emily Rose à Jérusalem, Doina Chiacu et Susan Heavey à Washington, Jana Choukeir à Dubai, Ramadan Abed à Gaza; version française Jean-Stéphane Brosse et Jean Terzian)
par Andrew Mills, Nidal al-Mughrabi et Maayan Lubell