Berne (awp/ats) - La Suisse veut une clarification sur les règles du jeu en matière de brevets sur les plantes. A son initiative, une réunion se tient jeudi à l'Office européen des brevets à Munich. Son but: fixer une limite à la possibilité de déposer des brevets sur de nouvelles plantes issues de procédés essentiellement biologiques.
Jusqu'à il y a quelques années, seuls les OGM étaient considérés comme brevetables par l'Office européen des brevets (OEB). "Mais depuis peu, des brevets sont également accordés sur des plantes dites conventionnelles, issues de procédés essentiellement biologiques, comme un croisement", estime Laurent Gaberell, spécialiste en agriculture, biodiversité et propriété intellectuelle à l'ONG la Déclaration de Berne (DB).
Le problème est que cette inflation de brevets commence à avoir un impact pour tous les sélectionneurs qui développent des variétés destinées à l'alimentation. De moins en moins de plantes sont libres de droit. "Les principales associations de sélectionneurs se sont jointes à la société civile et aux agriculteurs pour demander l'interdiction de ces brevets", souligne d'ailleurs M. Gaberell.
"Au final, ces brevets permettent à quelques multinationales de prendre le contrôle de notre alimentation", ajoute ce dernier, qui pointe une concentration de plus en plus importante dans le domaine.
Cette extension de la brevetabilité s'explique par un flou juridique. L'article 53b. de la Convention sur le brevet européen, entrée en vigueur en 1977 en Suisse, indique que les procédés essentiellement biologiques ne peuvent pas faire l'objet de brevets.
Or, l'OEB a ouvert une brèche en 2015. Elle a octroyé des brevets sur ce type de procédés, contournant ainsi l'interdiction prévue, accuse M. Gaberell. Selon l'expert, il s'agit là du résultat des pressions et du lobbying de l'industrie biotech, qui cherchent désormais à pénétrer le marché des semences dites conventionnelles.
L'Office justifie ces brevets de la discorde par une interprétation différente de cet article 53b. Selon lui, il est possible de déposer un brevet sur des produits issus de ces fameux procédés essentiellement biologiques. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait en 2015 en acceptant la brevetabilité d'un brocoli anti-cancer et d'une tomate économe en eau, tous deux mis au point à partir de diverses variétés non brevetées.
Dans ce dernier cas, l'OEB a justifié le brevet par "la nouveauté et l'activité inventive" nécessaire à son élaboration. En clair, l'Office invoque les nombreux procédés innovants qui ont été utilisés pour mettre au point la solanacée.
Ces deux décisions sont restées en travers de la gorge de plusieurs ONG en Europe, dont la DB, qui ont lancé une pétition.
DISCUSSION OUVERTE ET CRITIQUE
Les discussions du 12 mai "ont pour but d'obtenir une image complète du droit et de la pratique concernant la brevetabilité des inventions portant sur des végétaux à l'OEB", indique de son côté un porte-parole de l'OEB. Suite aux décisions dites Tomate II et Brocoli II, un besoin de clarification s'est fait sentir parmi les 38 signataires de la Convention, ajoute le porte-parole.
C'est cette volonté qui anime la Suisse, qui a demandé cette réunion avec quelques autres pays et s'attend à une "discussion ouverte et critique", selon le directeur suppléant de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) Felix Addor.
L'IPI souhaite "une protection des brevets équilibrée, qui soutient l'innovation et qui parallèlement prend en compte à sa juste valeur divers aspects, tels que la diversité génétique et le développement durable", poursuit M. Addor.
"Il y a intérêt de la part de la Suisse d'obtenir une clarification", confirme M. Gaberell. "Il n'est pas dans l'habitude pour le Conseil fédéral de prendre beaucoup de risques sur ce sujet", conclut l'expert.
ats/al