par Jan Strupczewski

BRUXELLES, 24 mars (Reuters) - En suscitant la colère de plusieurs pays du sud de l'Europe par ses propos sur l'alcool et les femmes, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, n'a pas seulement compromis sa reconduction à la tête des ministres des Finances de la zone euro: il a relancé les spéculations sur une possible redistribution de plusieurs postes économiques clés de l'Union.

Le ministre néerlandais des Finances, connu pour sa fermeté vis-à-vis de la Grèce, était jusqu'à cette semaine le grand favori pour sa propre succession lorsque son mandat s'achèvera en janvier prochain.

Mais l'entretien à un journal allemand dans lequel il laisse entendre que les pays méridionaux ne doivent pas compter sur une aide financière s'ils gaspillent leur argent "en alcool et en femmes" a déclenché de vives réactions au Portugal, en Italie, en Espagne et en Grèce.

Certains responsables de la zone euro assurent que le scandale sera vite oublié et qu'il n'affectera pas la décision sur la présidence de l'Eurogroupe mais d'autres y voient une bonne excuse pour appeler à un remplacement de Dijsselbloem.

"C'est plus qu'une tempête dans un verre d'eau parce qu'il a beaucoup d'ennemis dans le Sud qui attendaient une occasion comme celle-là pour l'utiliser contre lui", explique un responsable de la zone euro.

Si le poste de président de l'Eurogroupe était vacant, les tractations pour lui trouver un nouveau titulaire seraient compliquées par des divergences d'intérêts nationaux et partisans. D'autant que l'UE commence à se préparer à pourvoir deux autres postes économiques de haut rang.

DES POSTES À POURVOIR À LA BCE ET À LA BEI EN 2018

Le ministre espagnol des Finances, Luis de Guindos, a été dans le passé candidat à la présidence de l'Eurogroupe face à Dijsselbloem et l'Espagne se plaint depuis longtemps du fait qu'elle ne détient aucun des principaux leviers de pouvoir de l'Union.

L'Espagne apprécierait de voir de Guindos nommé à la tête de l'Eurogroupe mais pourrait être davantage intéressée par le portefeuille de vice-président de la Banque centrale européenne (BCE), qui sera à pourvoir à l'échéance du mandat de huit ans du Portugais Vitor Constancio l'an prochain.

Madrid a des candidats crédibles pour ce poste, comme l'ex-responsable du FMI et de la Banque d'Espagne Jose Vinals et le directeur général de la Banque des règlements internationaux (BRI), Jaime Caruana.

L'autre poste économique susceptible d'être concerné par les tractations à venir est celui de président de la Banque européenne d'investissement (BEI), le bras armé de l'UE en matière de crédit. Il est pour l'instant occupé par l'Allemand Werner Hoyer mais son mandat de six ans arrive lui aussi à son terme en janvier 2018.

Pour rester à la tête de l'Eurogroupe, Dijsselbloem a besoin d'une majorité simple des 19 pays de la zone euro. Mais jusqu'à présent, le président de l'instance a été choisi par consensus, pour un mandat de deux ans et demi renouvelable.

La donne est toutefois compliquée par deux facteurs: d'une part la répartition des portefeuilles entre les grandes familles politiques de l'UE, Jeroen Dijsselbloem étant travailliste alors que la quasi-totalité des principaux postes de l'UE sont occupés par des responsables politiques de droite, d'autre part le revers cinglant subi par le Parti travailliste aux élections législatives néerlandaises du 15 mars.

UNE PRÉSIDENCE PERMANENTE PEU PROBABLE

Cette contre-performance électorale pourrait coûter à Dijsselbloem le portefeuille des Finances dans le prochain gouvernement des Pays-Bas, dont la formation fait l'objet de tractations susceptibles de durer des semaines, voire des mois.

Les règles de l'Eurogroupe prévoient que son président soit un ministre en exercice. Pour qu'il reste en poste, Jeroen Dijsselbloem devrait donc s'assurer d'une modification de ces règles, par exemple avec la création d'un poste de président permanent.

"Le scandale provoqué par ses propos aura sûrement un impact sur ses chances de devenir président permanent de l'Eurogroupe, si la décision de créer une présidence permanente est adoptée", a dit un autre responsable de la zone euro.

S'il ne pouvait plus assurer la présidence de l'Eurogroupe, Dijsselbloem serait remplacé par le ministre des Finances du pays qui assure la présidence tournante de l'UE (Malte jusqu'au 30 juin, puis l'Estonie) en attendant la désignation d'un nouveau président.

Son avenir n'est toutefois pas encore tranché et il compte appeler un par un ses homologues au cours de la semaine à venir. Plusieurs sources estiment toutefois peu probable que l'Eurogroupe se dote d'une présidence permanente.

"Les ministres veulent l'un des leurs, quelqu'un qui subisse les mêmes pressions et les mêmes problèmes qu'eux", a dit une troisième source. "Recevoir des conseils en matière budgétaire de quelqu'un qui n'a pas à élaborer un budget, ça ne passerait pas très bien." (Marc Angrand pour le service français, édité par Marc Joanny)